À un peu plus d’un an des Jeux olympiques et à moins d’un mois des championnats mondiaux, Natation artistique Canada a rompu ses liens avec l’entraîneur-chef de l’équipe nationale séniore, Gabor Szauder.

Dans un communiqué très succinct publié sur son site internet mercredi, Natation artistique Canada (NAC) explique que ce départ s’applique « avec effet immédiat ». Aucun détail sur les raisons de cette décision n’est fourni. Relancé jeudi à ce sujet, le directeur du développement des affaires à NAC, Stéphane Côté, a indiqué « ne pas être en mesure, pour l’instant, d’émettre d’autres commentaires à ce sujet ».

La médaillée olympique Sylvie Fréchette dit avoir été « soulagée » d’apprendre la nouvelle du départ de M. Szauder, même si elle est tout de même « triste » pour les athlètes qui se retrouvent sans capitaine à quelques semaines d’une compétition d’envergure.

Selon Mme Fréchette, le « pays n’est pas sur la bonne voie au niveau mondial » en natation artistique. « Ça n’a rien à voir avec la qualité des athlètes. Ça prend un virage dans notre sport. Il faut retrouver nos racines », dit-elle. Sylvie Fréchette dit d’ailleurs avoir offert son aide à Natation artistique Canada pour le soutien des athlètes.

Parcours houleux

Le parcours de Gabor Szauder à Natation artistique Canada a été pour le moins houleux. Il s’est joint à l’équipe canadienne le 1er janvier 2019. Sous sa direction, le Canada a terminé premier aux Jeux panaméricains de 2019 et sixième aux Jeux olympiques de 2021.

PHOTO TIRÉE DU SITE DE NATATION ARTISTIQUE CANADA

Gabor Szauder

Mais en septembre 2020, NAC fermait son centre d’entraînement de Montréal à la suite d’allégations de harcèlement et d’abus dans son équipe nationale. Un reportage de Radio-Canada avait fait état de propos racistes tenus par l’entraîneur Szauder et du climat toxique qui régnait au bord de la piscine.

Un « examen complet de l’environnement d’entraînement » a été mené en novembre 2020 par Natation artistique Canada. Gabor Szauder a été suspendu de ses fonctions le temps de l’exercice, mené par une firme externe. Cet examen a conclu qu’il n’y avait eu « aucun cas d’abus sexuel ou d’abus physique ». Mais il recommandait néanmoins une formation sur la prévention du harcèlement et de l’intimidation pour les entraîneurs. Gabor Szauder est revenu en poste le 18 janvier 2021.

Quelques semaines plus tard, le 9 mars 2021, cinq athlètes ont pris la parole publiquement pour dénoncer la culture d’abus et de climat toxique qui sévissait selon elles depuis des années au sein de Natation artistique Canada. Sylvie Fréchette était présente à leurs côtés.

Erin Willson, Chloé Isaac, Gabriella Brisson, Gabrielle Boisvert et Sion Ormond ont déposé une demande d’action collective contre NAC. Dans la requête, les athlètes disent avoir subi des abus physiques et psychologiques. Certaines racontent avoir subi énormément de pression pour maintenir un faible poids, au point de développer des troubles alimentaires. Différents entraîneurs sont nommés, dont Gabor Szauder. Deux autres athlètes ont ajouté leurs noms à la requête depuis.

Selon la demande d’action collective, Gabor Szauder « ciblait régulièrement une athlète […] pour l’humilier devant l’équipe durant les entraînements, se moquant de son poids ». Toujours selon la requête, Gabor Szauder serait allé jusqu’à « menacer » Sion Ormond, membre de l’équipe nationale de 2018 à 2020, et d’autres athlètes que si elles ne performaient pas mieux, il « les frapperait tellement fort qu’elles ne sauraient pas ce qui se serait passé ». Quand elle s’est plainte à Natation artistique Canada, Sion Ormond se serait fait dire que Gabor Szauder était « européen », « comme si cela justifiait sa conduite », est-il écrit dans le document de cour.

La demande d’action collective est toujours en attente d’autorisation.

Aussi en Slovaquie

Avant son arrivée au sein de l’équipe canadienne, Gabor Szauder a entraîné l’équipe nationale de Slovaquie durant cinq ans. Là-bas aussi, son séjour n’a pas été sans failles.

Dans un article publié en novembre 2020 dans un journal slovaque, déposé en preuve dans la demande d’action collective québécoise, on peut lire que deux athlètes slovaques, Viktoria Reichova et Natalia Pivarciova, ont aussi eu des difficultés avec Gabor Szauder en 2017. Le journal slovaque indique que « plusieurs lettres ouvertes, plaintes et signalements de parents désespérés ont été balayés sous le tapis » par la direction de la Fédération slovaque de natation de l’époque.

Les parents de Reichova se seraient plaints en 2017 de l’environnement d’entraînement malsain et d’intimidation instauré par Gabor Szauder. Estimant avoir été écartée peu après de la formation nationale sans raison valable, Viktoria Reichova a formulé une plainte contre la Fédération slovaque de natation au Tribunal arbitral du sport de Lausanne et a remporté sa cause en août 2019.

Pour le bien-être des athlètes

La Presse a tenté de joindre M. Szauder jeudi, sans succès. Comme pour plusieurs, Sylvie Fréchette a plus de questions que de réponses sur ce départ. Mais elle croit que « tout est à revoir au niveau du sport et de l’éducation du sport » en natation artistique au pays.

Autant je suis triste pour les athlètes, autant je vois ça comme une occasion d’apporter des changements majeurs.

Sylvie Fréchette

Mme Fréchette estime que plusieurs questions doivent être éclaircies. Notamment : « Pourquoi, à tous les Jeux olympiques, on fait table rase et on recommence avec des athlètes plus jeunes ? » « Normalement, tu devrais avoir envie de rester », dit-elle.

Du côté de Natation artistique Québec, on dit souhaiter « le meilleur » à l’équipe nationale « dans sa préparation pour les qualifications olympiques ». « Aux yeux de Natation artistique Québec, le bien-être des athlètes est ce qui prime et ce qui doit motiver chacune des décisions des fédérations », a indiqué par courriel la codirectrice générale de Natation artistique Québec Valérie Savard. C’est Kerri Morgan, directrice principale du sport de NAC, qui dirigera l’entraînement de l’équipe jusqu’à nouvel ordre.