Chaque semaine, les journalistes des Sports de La Presse répondent à une question dans le plaisir, et un peu aussi dans l’insolence.

Mathias Brunet

Bob Hartley

En mai 1993, le directeur de l’information de La Presse, Marcel Desjardins, me suggère de travailler pour son beau-frère Jean-Robert Danis à l’hebdomadaire Express d’Hawkesbury, de l’autre côté de la frontière québécoise, en Ontario. J’ai terminé mon stage estival pour le plus grand quotidien francophone d’Amérique neuf mois plus tôt et il n’y a pas de perspective d’embauche à court terme. Ma première mission ? Me rendre chez l’entraîneur du Titan de Laval, Bob Hartley, à quelques pâtés de maisons du journal, pour une grande entrevue. Bob Hartley, 32 ans, est alors pressenti pour le poste d’entraîneur-chef des Aces de Cornwall, dans la Ligue américaine. Son fils Steve, aujourd’hui entraîneur-chef des Voltigeurs de Drummondville, assiste à l’entrevue… en pyjama. Il a 7 ans. Sa sœur Kristine et sa mère Micheline, l’épouse de Bob, sont sur place également. Hartley a été d’une extraordinaire générosité ce soir-là, et aussi, surtout, un raconteur hors pair, comme il le sera lors des prochaines décennies avec tous les journalistes. Il répète à plusieurs reprises son rêve d’accéder à la LNH. Je me permets de lui parler de mon rêve à moi aussi, celui de couvrir le hockey de la Ligue nationale pour La Presse. Quand j’ai couvert pour La Presse les sept matchs de la finale de la Coupe Stanley en 2001 – 18 jours à voyager entre le New Jersey et Denver –, on s’est évidemment remémoré avec émotion cette fameuse interview réalisée huit ans plus tôt. Le hasard a donc voulu que je sois sur place pour sa conquête de la Coupe Stanley avec l’Avalanche du Colorado…

Miguel Bujold

Jerome Bettis

Pittsburgh, décembre 2004. L’une de mes premières affectations à l’étranger pour La Presse : livrer des histoires sur Ben Roethlisberger, gagnant de ses 10 premiers départs en carrière, et sur Jerome Bettis, meneur de la NFL pour les verges au sol. Seuls les journalistes locaux avaient accès au vestiaire des Steelers, mais j’étais parvenu à m’y faufiler. Roethlisberger a évité les scribes, mais Bettis, lui, a accepté de répondre aux questions d’un reporter qu’il n’avait jamais vu. Le futur membre du Temple de la renommée m’avait même apporté une chaise… Le « Bus » m’avait parlé de son amour pour la F1 et Montréal, de sa carrière et de sa vie pendant une demi-heure, même si rien ne l’obligeait à le faire. Classe et gentillesse.

Simon Drouin

Saku Koivu

Une seule fois dans ma carrière, une conférence de presse s’est terminée par des applaudissements de la part des journalistes. Des applaudissements spontanés et sincères. Sur la tribune, Saku Koivu, tête chauve, venait d’expliquer comment il avait vécu cette soirée extraordinaire au Centre Bell, le 9 avril 2002. À peine remis d’un cancer foudroyant, le capitaine du Canadien était revenu au jeu pour aider son équipe à se qualifier pour les séries éliminatoires. Pour être honnête, je ne me souviens plus vraiment de ce qu’il avait dit. Le Finlandais n’était pas un grand parleur. Mais je n’ai jamais oublié son regard, le même qu’il avait quand il visitait les coins de patinoire.

Richard Labbé

Yogi Berra

C’était en 2000, et les Devils du New Jersey affrontaient les Stars de Dallas en grande finale, dans leur vétuste aréna quelque part dans un coin perdu du New Jersey, entre des bretelles d’autoroute et le stade des Giants. Il n’y avait rien de très spécial dans un tel décor, mais depuis le début des séries, on pouvait apercevoir dans l’une des loges le légendaire Yogi Berra, grand fan de hockey, qui ne ratait aucun match. Le bon Yogi n’étant plus dans la force de l’âge, il n’accordait plus d’entrevues, ou presque, mais par un soir de match, entre deux périodes, ma bonne amie Lindsay Berra, elle aussi journaliste et, en plus, petite-fille de Yogi, m’agrippa par la manche : « Viens, on va aller voir mon grand-père. » Pour vrai ? Une entrevue avec Yogi ? Ça ne se refuse pas, et c’est avec un immense respect que je suis allé boire les paroles de l’ex-légende des Yankees, qui me confia, entre autres perles, son habitude d’aller s’entraîner, même à son âge, au gym des Devils. Ce n’est pas tous les jours qu’on peut aller entendre les histoires d’un type qui a marqué l’histoire du sport, et puis ça, ça ne s’oublie pas. Seule tache à cette soirée autrement mémorable : Donald Trump était lui aussi dans la loge.

Guillaume Lefrançois

Rafael Nadal

C’était la Coupe Rogers 2013, l’année où Rafael Nadal a battu Milos Raonic en finale. La veille des matchs, Radio-Canada enregistrait de courtes entrevues individuelles avec les joueurs, qui passaient en avant-match. L’équipe de diffusion préparait donc trois questions, les donnait à un journaliste (votre humble serviteur) qui devait les lui poser. Pas le mandat le plus difficile d’une vie, mais c’est néanmoins intimidant. Nadal s’installe dans la pièce sombre, on le salue, et lui de dire : « Bonjour, je suis Rafael, quel est ton nom ? » Pas le genre de phrase qu’on entend souvent de vedettes de son calibre… Au-delà de l’anecdote, Nadal est apprécié parce qu’il est constant. Même quand il est amer, comme après sa défaite contre Denis Shapovalov en 2017, il prend le temps de donner des réponses claires en conférence de presse. Facile d’être généreux après une victoire, mais ceux qui le sont aussi dans la défaite méritent le respect.

Simon-Olivier Lorange

Sylvie Béliveau

Sylvie Béliveau est une pionnière du soccer canadien. Ex-joueuse devenue entraîneuse puis membre du groupe d’étude technique de la FIFA, elle devait être honorée par le Vert & Or de l’Université de Sherbrooke au cours de l’été 2007 (c’était le prétexte de notre discussion à l’époque). Elle m’a rappelé en soirée, de sa voiture, m’avisant qu’elle craignait de ne pas être une bonne interlocutrice, car elle était fatiguée. La conversation s’est conclue une heure plus tard. Mme Béliveau demeure, à ce jour, la personne qui aborde son sport avec le plus d’intelligence que j’ai eu la chance de rencontrer – même si c’était au téléphone ! Sa manière simple et cartésienne de vulgariser sa vision du développement des athlètes et son bassin de connaissances sans fond m’ont laissé sans voix. On gagnerait à l’entendre plus souvent. 

Pascal Milano

Marc Dos Santos

Marc Dos Santos a toujours été un bon client, capable de donner une cascade de citations percutantes. À ses débuts, par exemple, n’avait-il pas traité ses deux attaquants d’« agents doubles » après un mauvais match ? Ou qualifié un gardien adverse – Evan Bush en l’occurrence – d’« Harry Potter » ? En entrevue, en tête à tête, l’actuel entraîneur des Whitecaps de Vancouver est également d’une rare pertinence. Lors de notre premier grand entretien, on se rappelle comment il avait arraché une feuille de notre cahier pour coucher ses idées concernant les quatre phases du jeu (attaque, défense, transition offensive et transition défensive). À moins de cinq minutes d’un match de l’Impact, qu’il entraînait alors, on a aussi été surpris qu’il nous envoie le PowerPoint d’une présentation tactique faite aux médias. Finalement, lors d’une visite à Gatineau, alors qu’il entraînait le Fury d’Ottawa, il nous avait parlé pendant plus de 90 minutes de son séjour au Brésil, de préparation physique et de sa façon de presser l’équipe adverse.

Alexandre Pratt

Felipe Alou

Sa culture générale était phénoménale. Tous les jours, il accueillait les journalistes dans son bureau. On était cinq ou six. Debout dans le cadre de porte, accotés contre un mur ou assis sur le plancher. Et c’était parti pour une heure d’échanges. Il s’exprimait sur TOUT. Oui, le baseball. Mais aussi la politique cubaine. Le racisme. Les conditions de pêche. La trajectoire du dernier ouragan – il adorait regarder The Weather Channel. Felipe parlait aussi généreusement des légendes qu’il avait côtoyées comme joueur. Willie Mays. Hank Aaron. Orlando Cepeda. Willie McCovey. Juan Marichal. Eddie Mathews. J’avais 21 ans. Je débutais comme journaliste. Je pensais que tous les entraîneurs allaient être comme lui… J’ai peut-être juste été trop gâté, trop jeune.

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