Des promoteurs ambitieux, des fans passionnés et des combattants qui ont du mal à joindre les deux bouts... Bienvenue dans le monde des combats extrêmes made in Québec. Alors que Georges St-Pierre doit se battre à l'hiver sous les projecteurs de Las Vegas, La Presse fait le portrait d'une industrie qui survit dans l'ombre de sa grande soeur américaine.

Il y a un silence dans la salle quand Patrick Côté soulève son adversaire. Les 4000 spectateurs fascinés à la vue d'un homme de 190 livres suspendu dans les airs se sont tus. Il ne faut pas un doctorat en kinésiologie pour deviner ce qui va suivre.

Quand l'Américain Crafton Wallace atterrit au sol, les spectateurs près du ring peuvent entendre le bruit sec d'un genou qui se déboîte. Wallace est hors combat, furieux à l'idée d'avoir perdu et à celle de devoir passer des heures à l'hôpital.

«J'ai entendu son os popper, lance quelques minutes plus tard au micro le gagnant, Patrick Côté, au milieu du ring. C'est regrettable, je me suis déjà blessé au genou et je ne lui souhaitais pas ça. Mais j'ai gagné et je suis content.»

La foule applaudit. Ce genou estropié est le seul point sombre d'une soirée réussie. «Il y a eu de beaux combats, et les gars sont beaux aussi», rigole une spectatrice, Sandra Leduc, pendant que deux combattants s'activent sur le ring. Derrière elle, un spectateur se lève et crie «arrache-lui la tête!» sans préciser laquelle des deux têtes est à arracher.

Le 7 octobre dernier, ces 4000 fans se sont massés dans l'aréna de Boisbriand pour assister à une soirée de combats extrêmes. La salle est presque comble. La foule est jeune et il y a plus de tatouages au mètre carré que sur un bateau de pirates. Dehors, le stationnement est plein à craquer. «Le propriétaire du Hummer immatriculé [...] est prié de déplacer son véhicule», répète deux ou trois fois un homme au micro. Il n'y a pas de doute, la soirée est un succès.

«On n'a pas fait salle comble ce soir, il manquait 224 personnes, explique le promoteur, Stéphane Patry. Mais si ça n'avait pas été le long week-end, ou si on avait été plus proches de la Rive-Sud, on aurait refusé 1000 personnes à la porte. C'est ça, le but.»

Depuis qu'ils ont été lancés aux États-Unis, au début des années 90, ces combats qui combinent les arts martiaux, la boxe et la lutte gréco-romaine ont connu une croissance fulgurante. L'organisation qui y a lancé le sport, l'Ultimate Fighting Championship (UFC), verse des centaines de milliers de dollars à chaque combat à ses têtes d'affiche. Le Québécois Georges St-Pierre est l'une d'elles.

Mais si l'UFC est la face connue du sport, il existe au Québec une petite industrie qui tente de tirer son épingle du jeu. Pour la première fois, en 2010, il y a eu dans la province autant de combats extrêmes qu'il y a eu de soirées de boxe professionnelle, selon les chiffres de la Régie des alcools, des courses et des jeux. On voit depuis quelques années ces combats à la télévision. Dès son lancement, TVA Sports a garni sa programmation de combats extrêmes et engagé Patrick Côté comme analyste. Le sport est devenu incontournable.

«Les choses progressent. Beaucoup plus de gens connaissent les combats ultimes et le sport est beaucoup plus accepté qu'à l'époque, explique Stéphane Patry. Il y a des gens qui aiment ça et il y en a d'autres qui aiment moins ça, c'est normal... Il reste que c'est devenu un sport qui fait partie du paysage sportif québécois au même titre que la boxe ou le hockey.»





À l'ombre de l'UFC

Mais si le sport est plus accepté qu'avant, il reste néanmoins mineur dans la province. Les assistances stagnent. La plus importante enregistrée lors d'un événement organisé par un promoteur local remonte à 2007, lors d'une soirée de la défunte organisation TKO, au Centre Bell. Il y avait eu 9000 spectateurs.

Les bourses des combattants stagnent tout autant. La tête d'affiche de la soirée du 7 octobre, le Québécois Steve Bossé, a empoché 12 000$ pour son combat. Cette somme est à des lieues de ce que reçoivent les étoiles de l'UFC. Les chiffres sont gardés secrets, mais on estime que celles-ci remportent au moins 400 000$ en bourse. Avec les lucratives commandites, chaque combat leur rapporte plus de 1 million. Voilà pourquoi les combattants locaux rêvent tous d'imiter Georges St-Pierre et de se joindre à la prestigieuse organisation américaine.

«C'est très difficile de vivre du sport au Québec, explique Steve Bossé. Si on veut être performant et se rendre loin, il faut s'entraîner à temps plein et vivre avec l'argent des combats. Les combattants qui font ce choix vivent avec un budget serré. Ils sont en amour avec le sport. On fait ce qu'on aime, mais on ne fait pas beaucoup d'argent!»

L'attrait de l'UFC prive les promoteurs québécois de leurs plus beaux talents. «Toute cette histoire-là, c'est un petit peu ma faute à moi, raconte Stéphane Patry. J'ai été gérant de Georges St-Pierre pendant sept ans. À l'époque, quand j'avais un bon combattant, je m'empressais de l'envoyer à l'UFC.»

Mais aujourd'hui, il promet de changer de tactique. Il veut imiter InterBox qui est parvenu à garder à Montréal Lucian Bute et à faire venir ici ses adversaires. «Parce que si j'avais encore Georges St-Pierre avec moi, ce serait peut-être une autre histoire. On aurait peut-être 20 000 personnes à tous les galas.»

Il reste à voir s'il va y arriver. Stéphane Patry a créé en 1999 la première grande organisation de combats extrêmes au Québec. «C'est moi qui ai parti les MMA au Québec!», dit-il. Avant cette date, les premiers combats avaient eu lieu de manière plus ou moins légale sur la réserve mohawk de Kahnawake.

Puis Patry a mis la clé sous la porte en 2008. Son associé aurait frayé «avec un entourage» qu'il n'aimait pas, c'est-à-dire le crime organisé. La Régie des alcools, des courses et des jeux a d'ailleurs souvent souligné les liens entre le monde des combats extrêmes au Québec et le milieu des motards criminels.

La soirée du 7 octobre représente donc son retour. Instinct MMA, c'est le nom de la nouvelle organisation, doit dynamiser l'industrie des combats extrêmes au Québec. «Le milieu a vraiment décliné au cours des dernières années, il faut repartir la machine», lance Patry.

Mais le combat est loin d'être gagné pour le promoteur. Son poulain le plus vendeur pourrait partir du jour au lendemain. Steve Bossé ne s'en cache pas, il espère un appel de l'UFC. «C'est un rêve pour moi de mettre les gants avec les trois lettres UFC dessus. De prendre l'avion et d'aller à Las Vegas pour faire un combat, raconte-t-il. Tout le prestige associé à cette organisation-là. C'est un autre monde!»

Photo: Marco Campanozzi, La Presse

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