À la veille de participer à ses deuxièmes Jeux olympiques, Achraf Tadili se sent un peu seul sur son île: le coureur de demi-fond pourrait être le seul athlète québécois à fouler la piste ou la pelouse du Stade national de Pékin, du 15 au 24 août.

«C'est un peu dommage», soupire Tadili, qui participera cet après-midi à la demi-finale du 800 mètres des championnats canadiens d'athlétisme, dernière étape de qualification pour les JO de Pékin. «C'est sûr que je me sens seul, enchaîne l'athlète de 27 ans. En espérant qu'on soit plus de Québécois à Londres en 2012.»

Si Tadili est une valeur sûre - il n'a qu'à finir parmi les quatre premiers de la finale de demain pour se qualifier - le Montréalais Hank Palmer, 23 ans, entretient aussi un espoir légitime de s'insérer parmi les six relayeurs du 4X100 m. Ce ne sera toutefois pas de la tarte.

Hier soir, Palmer s'est classé deuxième de sa vague quart de finale avec un chrono modeste de 10.68. «Je ne pensais pas au temps. Tout ce que visais, c'était une place en demi-finale», a-t-il affirmé.

Alex Genest, 22 ans, était un candidat au 3000 mètres steeple à titre d'étoile montante, une nouvelle catégorie d'olympien instaurée par Athlétisme Canada. Mais le talentueux coureur de Lac-aux-Sables, en Mauricie, n'a pas réussi le standard B requis par la fédération internationale. La sprinteuse Geneviève Thibault, 21 ans seulement et championne canadienne du 100 m en 2006, a été ralentie par une blessure l'an dernier. Le coureur de fond Paul Morrison, de Sherbrooke, se remet difficilement d'une opération à un pied et ne sera pas à Windsor. Pour les autres athlètes québécois, une qualification olympique relèverait presque du miracle. On est loin des années de gloire de Bruny Surin.

Jean-Paul Baert, directeur général de la Fédération québécoise d'athlétisme, refuse cependant de parler de creux de vague. «Un creux, ce serait pire que ça», soutient-il. Le directeur général note une hausse marquée du nombre de licenciés depuis 2003, en particulier chez les très jeunes. Baert annonce également une relève prometteuse chez les juvéniles et les juniors. «Il faut raccrocher les wagons», croit-il.

La Presse a interrogé une demi-douzaine d'intervenants du milieu au cours des derniers jours. Tous soulignent la sévérité des standards olympiques imposés par Athlétisme Canada. L'équipe canadienne est réduite de moitié par rapport aux années 80 ou 90.

N'empêche, la représentativité québécoise est en baisse marquée, constate Martin Goulet, chef de la direction technique nationale à Athlétisme Canada. Des Mondiaux de Rome, en 1987, à ceux de Tokyo, en 1991, en passant par les JO de Séoul, en 1988, les athlètes québécois formaient de 15 à 18% de la délégation canadienne. La proportion est passée sous les 10% depuis 2000. Elle pourrait atteindre un creux de 3% à Pékin. «Cette baisse générale de niveau s'observe aussi chez les juniors et les juvéniles», soutient Goulet.

Réticent à jouer les «gérants d'estrade», Goulet soutient néanmoins qu'un «exercice d'évaluation doit être fait, et ce, sans complaisance». Hormis quelques exceptions - il cite Daniel St-Hilaire - Goulet sent une «certaine déconnexion» entre les entraîneurs québécois de pointe et le programme national. «Je m'explique mal cet isolement, dit l'ancien entraîneur. Je ne vois pas l'ambition des générations précédentes.»

Goulet s'interroge également sur la qualité du développement lorsqu'il constate l'absence de club d'athlétisme en Montérégie, où il réside. «Il n'y a pas de club pour une population d'environ 800 000 habitants. Ça en dit beaucoup.»

En revanche, Goulet est encouragé par l'enthousiasme des dirigeants de quelques clubs phare, comme ceux de Sherbrooke, de Saint-Laurent Sélects, de Corsaire-Chaparal ou de Montréal-Olympique. Il souligne également le dynamisme de fondations comme celle de Philippe-Laheurte, qui donne un précieux coup de main à Tadili.

Aux yeux de Goulet, Sherbrooke possède le plus beau stade d'athlétisme au Canada, legs des Mondiaux Jeunesse de 2003.

L'entraîneur du club de Sherbrooke, le vétéran Richard Crevier, rêve d'y établir un centre national d'entraînement. Le hic, c'est que le club est pour le moment dépourvu d'athlète breveté. Comment attirer les meilleurs sans le statut de centre national? demande Crevier. C'est l'oeuf ou la poule, concède Goulet.

Sans surprise, le manque d'argent est souvent évoqué pour expliquer le peu de succès du Québec au niveau sénior. «Le talent est là, mais il faut laisser vieillir les athlètes et investir davantage dans la préparation pour les mener parmi les 16 premiers au monde», affirme l'entraîneur St-Hilaire, dans un discours maintes fois répété.

Pendant ce temps, Tadili poursuit sa route vers Pékin, un peu esseulé. «J'aimerais faire plus, mais je me bats juste pour rembourser les frais de mon travail»