Il faut un peu de tout et d’un peu de tous pour faire un monde. Cet été, notre journaliste parcourt les festivals à la rencontre de ceux et celles qui composent cette mosaïque humaine.

Plongés au cœur d’une foule venue assister au Festival de jazz, Muska et Becket se livrent docilement à la dernière épreuve de leur formation à l’école Mira. Leur compréhension de l’environnement, leur aisance dans ce bain d’urbanité, les règles de sécurité qu’ils savent désormais respecter et le confort qu’ils procurent à leur maître confirment qu’ils ont ce qu’il faut pour être chiens guides : autrement dit, devenir les yeux d’une personne non voyante.

Ces deux travailleurs ont les prédispositions nécessaires pour venir en aide aux humains, notamment en raison du croisement de races dont ils sont issus. Ils sont physiquement solides et motivés à faire plaisir comme les labradors ; fidèles, calmes, intelligents comme les bouviers bernois. Mais les aptitudes de ces labernois ne reposent pas uniquement sur leur ADN.

Depuis leur naissance, il y a un an et demi, ils ont franchi avec brio les différentes étapes afin de devenir chiens guides. À 9 semaines, ils ont d’abord été envoyés dans une famille d’accueil afin d’apprendre à socialiser, tout en se soumettant à différentes séances d’évaluation de leur comportement et de leur forme physique.

Au bout d’un an en famille d’accueil, les deux labernois se sont qualifiés aux différents tests permettant d’évaluer leur degré d’énergie, leur niveau de dominance ainsi que leurs attirances ou leurs peurs dans différentes situations. Ce n’est qu’alors qu’a pu débuter leur « scolarité » d’une durée de six mois auprès d’une entraîneuse aguerrie.

Tout au long de leur parcours, Muska et Becket ont su démontrer qu’ils pouvaient être malléables, déterminés, travaillants, sociables et sans peur. Bien qu’ils n’en sachent rien, ces deux candidats sont des chiens d’exception au sein de la gent canine. « Wouf ! », déclare Becket, propos que nous n’avons malheureusement pu traduire.

Certains de leurs collègues ont dû abandonner le groupe en chemin, n’ayant pas les compétences nécessaires pour devenir chiens guides. Ces compagnons ont en revanche d’autres qualités qui en font de bons candidats pour d’autres programmes. La mission de ces chiens sera plutôt auprès de personnes à mobilité réduite ou d’enfants atteints d’un trouble du spectre de l’autisme (TSA). Ils seront auprès d’eux des aidants, mais aussi de fidèles compagnons.

L’amour des chiens et des gens

Si Becket et Muska ont pu développer ces capacités, c’est en partie grâce à celle qui, jour après jour, leur a enseigné leur métier et les regarde aujourd’hui avec fierté. « Je suis pas mal contente de mes chiens. Ils sont prêts, déclare Karen Winter, entraîneuse chez Mira depuis 1992. Ils connaissent leur job, ils veulent me faire plaisir et sont sécuritaires. »

Karen Winter a la passion des animaux, préalable — faut-il le souligner — pour faire ce métier. Elle envisageait au départ de devenir vétérinaire, avant de réaliser, au cours d’un stage, qu’il lui était difficile de développer un lien réel avec l’animal dans ces conditions. « On les guérit et puis voilà : ils retournent chez eux. Ce n’était pas ce que je recherchais. » Karen est devenue entraîneuse pour chiens, mais encore là, entraîner un animal sans savoir quelle vie il aura, à quoi bon.

« Quand j’ai vu qu’il y avait une école de chiens guides qui ouvrait dans ma ville, j’ai fait ma demande », raconte la native de l’Ontario qui, à l’époque, a passé des semaines à faire du bénévolat pour Mira afin de prouver qu’elle était hautement motivée à exercer ce métier qui exige également une bonne forme physique, un bon jugement et une fine lecture des comportements canins.

Sa passion, dit-elle, c’est les chiens guides. Pas uniquement pour être avec eux, mais pour venir en aide à ceux qui en ont besoin.

C’est vraiment gratifiant. Quand je vois que j’ai entraîné un chien, que je l’ai transformé en travailleur qui va aider une autre personne, c’est ça, ma paie.

Karen Winter

La mission d’une vie

Lundi, les deux finissants de l’école Mira obtiendront un diplôme bien mérité et seront jumelés à leur nouveau maître en fonction de la personnalité de ce dernier et de la leur. Suivra une période de familiarisation de quatre semaines dans les locaux de Mira, au cours de laquelle leur maître apprendra à les diriger et à prendre soin d’eux.

Ainsi débutera une longue carrière d’aidant qui durera de 8 à 10 ans — plus des trois quarts de l’espérance de vie moyenne d’un chien —, au bout desquels ils prendront leur retraite auprès de leur maître ou dans une famille d’accueil.

Karen Winter doit maintenant laisser « ses chiens » accomplir leur mission de vie. La première fois qu’elle a terminé l’entraînement d’un groupe de chiens guides, elle a pleuré. « Ça ne m’est plus arrivé depuis. Maintenant, ce qui me fait pleurer, c’est de voir que le chien que j’ai transformé va changer la vie d’une personne. » Lundi, elle versera des larmes, dit-elle. De joie.