Les plateformes de médias sociaux sont inondées de vidéos de microappartements et de petites maisons qui accumulent des dizaines de millions de vues. Mais les clics se traduisent-ils par de nouveaux occupants ?

Dans un quartier animé du sud de Londres, à proximité d’une station de métro très fréquentée et d’un réseau de bus, se trouve une minuscule maison dans une benne à ordures.

Cette maison en contreplaqué d’un peu plus de 1,5 mètre carré est composée d’un plancher central, d’étagères murales pour le rangement (ou pour s’asseoir), d’un comptoir de cuisine avec un évier, d’une plaque chauffante et d’un réfrigérateur de la taille d’un jouet, et d’une mezzanine avec un matelas sous le toit en forme de voûte. Il n’y a pas d’eau courante, et la salle de bains est une toilette portable à l’extérieur.

La « Skip House » est la création et la maison de Harrison Marshall, 29 ans, un architecte et artiste britannique qui conçoit des bâtiments communautaires, tels que des écoles et des centres de santé, en Grande-Bretagne et à l’étranger. Depuis qu’il a emménagé dans la benne à ordures gratuite (appelée skip en Grande-Bretagne) en janvier, les vidéos de l’espace diffusées sur les réseaux sociaux ont attiré des dizaines de millions de vues et des dizaines de demandes de renseignements dans une ville où les studios se louent au moins 2000 $ par mois.

« Les gens sont obligés de déménager dans des endroits de plus en plus petits, des microappartements, des maisons minuscules, juste pour essayer de joindre les deux bouts », a déclaré Harrison Marshall lors d’un entretien téléphonique.

PHOTO TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM @THESKIPHOUSE

Harrison Marshall pose à l’intérieur de sa minimaison.

Il est évident que le mode de vie minimal présente des avantages, mais il devrait s’agir d’un choix plutôt que d’une nécessité.

Harrison Marshall, architecte et artiste

Les plateformes de médias sociaux s’en donnent à cœur joie avec les microappartements et les petites maisons comme celle de M. Marshall, preuve de la curiosité que suscite ce mode de vie. Les petits espaces ont captivé les téléspectateurs, qu’ils réagissent à la flambée des prix de l’immobilier ou à un mode de vie différent qui repousse les limites, comme on peut le voir sur des plateformes telles que la chaîne YouTube Never Too Small (Jamais trop petit). Toutefois, s’il n’existe pas de décompte précis du nombre de petites maisons et de microappartements sur le marché, l’attention portée par les médias sociaux n’a pas nécessairement incité les téléspectateurs à s’y installer en masse, peut-être parce que ces espaces peuvent parfois être pénibles à vivre.

PHOTO SAM BUSH, THE NEW YORK TIMES

Vue sur l’extérieur de la minimaison de Harrison Marshall

M. Marshall a fait remarquer que 80 % des personnes qui l’ont contacté pour exprimer leur intérêt à emménager dans une maison comme la sienne dans le quartier de Bermondsey n’étaient pas sérieuses, et que « la plupart de ces contacts ne sont que du vent et des bavardages ». Selon lui, les minimaisons sont romancées parce que la vie de luxe est surexposée.

« Les gens sont presque insensibilisés par les médias sociaux », a-t-il déclaré. Selon M. Marshall, les gens s’intéressent davantage aux contenus relatifs au « mode de vie nomade ou à la vie hors réseau », qui négligent le revers de la médaille : les douches à la salle de sport et les toilettes portables à l’extérieur.

La ruée vers les grandes villes après la pandémie a fait grimper les loyers à des niveaux record, intensifiant la demande de logements bon marché, y compris d’espaces à peine plus grands qu’une place de stationnement.

Mais si le public des médias sociaux peut trouver ce mode de vie « divertissant et s’y identifier », comme l’a dit un expert, ce n’est pas nécessairement un exemple à suivre.

Les spectateurs des vidéos sur les microappartements sont comme les visiteurs du pénitencier fédéral d’Alcatraz, dans la baie de San Francisco, qui « entrent dans une cellule dont la porte est fermée », a déclaré Karen North, professeure de médias sociaux numériques à l’Université de Californie du Sud.

Les utilisateurs des médias sociaux veulent faire l’expérience de ce qui se passe à « l’extrémité anormalement petite » de l’échelle des logements, a-t-elle expliqué.

« Notre désir d’être en contact avec des personnes différentes – y compris des influenceurs et des célébrités, ou des personnes qui vivent dans un endroit différent d’une manière différente – peut se manifester sur les médias sociaux, parce que nous avons l’impression d’établir une connexion personnelle », a-t-elle déclaré.

PHOTO SAM BUSH, THE NEW YORK TIMES

Le coût des logements dans les grandes villes pousse certaines personnes à vivre dans des espaces très restreints et plus abordables.

Des pressions réelles

Bien que ces petits espaces ne soient pas un choix courant, les résidants qui franchissent ce pas sont poussés par des pressions réelles. Pour les personnes qui cherchent à vivre et à travailler dans les grandes villes, la situation du logement après la pandémie est désastreuse. À Manhattan, en juin, le prix moyen d’un loyer était de 5470 $, selon un rapport de la société de courtage immobilier Douglas Elliman. Dans l’ensemble de la ville, le loyer moyen s’élève à 3644 $ ce mois-ci, selon le site d’annonces Apartments.com.

La situation du logement est similaire à Londres. Au cours des trois premiers mois de l’année, le loyer moyen demandé dans la capitale britannique a atteint un record d’environ 3165 $ par mois, car les habitants qui avaient quitté la ville pendant les confinements sont revenus en masse.

En Asie, les citadins font face à des pressions et à des coûts similaires. À Tokyo, en mars, le loyer mensuel moyen a atteint un record, pour le troisième mois consécutif. Actuellement, ce loyer s’élève à environ 4900 $.

Ainsi, lorsque Ryan Crouse, 21 ans, a quitté New York en mai 2022 pour s’installer à Tokyo, où il était étudiant en commerce au Marymount Manhattan College, il a loué un microappartement d’une superficie de 1,5 mètre carré pour 485 $ par mois. Les vidéos de son studio tokyoïte sont devenues virales, recueillant entre 20 et 30 millions de vues sur les différentes plateformes, a déclaré Crouse, qui a déménagé dans un appartement plus grand en mai dernier.

M. Crouse pense que la pandémie a aiguisé la curiosité. Pendant le confinement, « tout le monde était sur les médias sociaux, partageant leurs espaces » et « partageant leurs vies », et les vidéos de visites d’appartements « sont devenues folles », dit-il.

Les vidéos de visites d’appartements sont devenues folles. Cela a vraiment mis en lumière les petits espaces comme celui-ci.

Ryan Crouse, 21 ans

La curiosité sur les médias sociaux a semblé atteindre un niveau frénétique pour Alaina Randazzo, planificatrice de médias établie à New York, pendant l’année qu’elle a passée dans un appartement de 80 pieds carrés et de 650 $ par mois dans le centre de Manhattan. Il y avait un évier, mais pas de toilette ni de douche : elles étaient au bout du couloir et partagées.

Pourtant, les vidéos de son microappartement sur TikTok, YouTube et Instagram ont été vues des dizaines de millions de fois, dit-elle. Des influenceurs de YouTube, dont l’un a une série sur la cuisine, ont tourné dans son microstudio, et des rappeurs lui ont envoyé des messages pour lui demander d’en faire autant.

Regardez la vidéo d’Alaina Randazzo qui raconte son histoire (en anglais)

« Les photos donnent l’impression que l’appartement est un peu plus grand qu’il ne l’est en réalité, remarque Mme Randazzo, 26 ans. Il y a tellement de petites choses à faire dans ces appartements auxquelles on ne pense pas. »

Il y a « un facteur cool » autour des microstudios de nos jours, dit-elle, parce que « vous vendez un rêve à quelqu’un » : qu’il puisse réussir à New York et « ne pas être jugé » parce qu’il vit dans un minuscule appartement.

De plus, « notre génération aime la réalité », explique-t-elle, « quelqu’un qui fait preuve d’authenticité » et qui essaie de se construire une carrière et un avenir en économisant de l’argent.

Mais ce n’était pas le genre de vie que Mme Randazzo pouvait mener pendant plus d’un an. Elle partage aujourd’hui une grande maison de ville new-yorkaise où elle dispose d’une chambre spacieuse. Elle ne regrette pas son microappartement : « J’aime la communauté qu’il m’a apportée, mais je ne m’ennuie pas de me cogner la tête au plafond. »

Cet article a été publié à l’origine dans le New York Times.

Lisez l’article original sur le site du New York Times (en anglais, abonnement requis)