(Miniâra) Depuis plusieurs semaines, Maryam Janhat vit dans la peur au Liban, où les autorités ont renforcé les contrôles contre les réfugiés syriens, à un moment où les responsables politiques multiplient les appels à les renvoyer dans leur pays d’origine.

« J’ai peur que mon fils soit arrêté à tout moment », affirme cette femme de 38 ans, qui tient avec sa famille un étalage de légumes aux abords de la localité de Miniara, dans le nord du Liban, frontalier de la Syrie.

« J’ai peur quand ils (son mari et son fils, NDLR) viennent travailler, on a même peur de marcher dans la rue », ajoute cette réfugiée qui a fui la région de Homs, dans le centre de la Syrie, il y a dix ans.

Le maire de Miniara, Antoun Abboud, dit que sa localité de 8000 habitants, qui accueille 4000 réfugiés syriens, n’a pas les moyens de répondre aux besoins d’un nombre aussi élevé de réfugiés, même si la main-d’œuvre syrienne est utile dans le bâtiment ou l’agriculture, reconnaît-il.

La situation à Miniara reflète celle de l’ensemble du Liban, pays de quelque quatre millions d’habitants qui dit accueillir près de deux millions de réfugiés syriens depuis le début en 2011 de la guerre civile en Syrie, soit le plus important ratio par habitant au monde.

Depuis 2019, le Liban est englué dans une profonde crise économique, et un habitant sur trois vit dans la pauvreté, selon l’ONU. Les autorités libanaises affirment que le pays ne peut plus supporter la présence des réfugiés syriens, surtout dans les régions les plus pauvres comme le nord.

Dans ce contexte, aggravé par une crise politique en raison de l’incapacité des dirigeants libanais à s’entendre, le discours xénophobe de certains hommes politiques s’est accentué à l’approche d’une conférence annuelle sur la Syrie prévue à Bruxelles le 27 mai. La plupart des responsables prônent un retour des Syriens dans leur pays ravagé par la guerre.

« Encadrer » et « réduire »

À Miniara, la plus grande crainte de Maryam Janhat est d’être forcée de repartir en Syrie où sa famille n’aura « ni maison, ni travail, ni sécurité », car son permis de séjour n’a pas été renouvelé.  

À quelques mètres de son étalage de haricots et de maïs, Ibrahim Mansour, un septuagénaire libanais, décharge des caisses de fruits et de légumes de sa camionnette. « Ils (les Syriens) nous font la concurrence dans tous les métiers », peste-t-il : « Quand ils partiront, la situation va beaucoup s’améliorer ».

Le maire de Miniara affirme que sa localité ne cherche pas à « chasser les Syriens. Mais nous voulons réduire et encadrer la présence syrienne », dit-il.

Début mai, l’Union européenne a annoncé une aide d’un milliard d’euros au Liban, appelant Beyrouth à coopérer dans la lutte contre l’émigration clandestine vers Chypre, porte d’entrée de l’UE.

Mais le très influent chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a appelé quelques jours plus tard le gouvernement à « ouvrir la mer » aux bateaux de migrants pour faire pression sur l’Europe, accusée de vouloir maintenir les réfugiés syriens au Liban.

Les autorités libanaises affirment avoir intensifié les campagnes pour rechercher les Syriens sans permis de séjour, fermer leurs commerces et les forcer à évacuer leurs maisons.

À la mi-mai, quelque 300 Syriens ont été rapatriés, en coordination avec le régime de Damas, qui reste réticent à un retour massif de ses citoyens.

« Tout le monde a peur »

Sahar Mandour, chercheuse à Amnistie internationale, fait état « de campagnes d’incitation à la haine, de restrictions légales et de mesures inédites » de la part des autorités libanaises « pour restreindre la délivrance de permis de séjour ».

Ainsi, « la plupart » des réfugiés se retrouvent « dans une situation illégale » au Liban.

Dans un camp proche de Miniara, des enfants jouent entre les tentes, alors que les hommes, désœuvrés, n’osent pas sortir.

Hajem, un marchand de bétail, tond ses moutons, des femmes recueillant la laine pour en bourrer des matelas. Il dit ne plus travailler à cause des descentes des autorités libanaises. L’homme de 37 ans, qui ne veut pas donner son nom, est entré illégalement au Liban il y a huit ans, fuyant la guerre dans son pays.

« Je ne dors pas, on ne sait jamais quand l’armée ou la police vont venir nous forcer à partir », affirme-t-il. « Même les travailleurs agricoles ne travaillent plus, tout le monde a peur ».

Hajem dit ne pas pouvoir rentrer en Syrie, car il est recherché.

Son père, un septuagénaire, partage son inquiétude : « Si nous partons, nous mourrons de faim, sans moyens de subsistance. Ce serait mieux de se jeter dans la mer ».