(Rafah) Les États-Unis ont critiqué l’emploi par Israël d’armes américaines dans la bande de Gaza mais sans suspendre leur envoi, faute de pouvoir conclure que l’armée israélienne a violé le droit humanitaire international, selon un rapport très attendu du département d’État diffusé vendredi.

Le rapport indique qu’il est «  raisonnable d’estimer » qu’Israël a utilisé des armes d’une manière incompatible avec le droit humanitaire international et donc la loi américaine, mais que les États-Unis n’ont pas pu parvenir à ce stade à des « conclusions » définitives.

La diffusion de ce rapport a été retardée pendant plusieurs jours en raison de débats au sein du département d’État.

Il intervient peu après que le président Joe Biden a publiquement menacé de suspendre la livraison de certaines catégories d’armes si Israël lançait une offensive majeure dans la ville surpeuplée de Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, à laquelle il s’oppose.

Le président américain avait lui-même mandaté le département d’État en février dernier pour examiner si l’emploi par des pays engagés dans un conflit actif et bénéficiant de l’aide militaire américaine, dont Israël, respectaient la loi américaine.

Cette évaluation au long cours se distingue de la décision des États-Unis de suspendre la livraison la semaine dernière d’une cargaison de munitions et de bombes destinées à Israël.

« La nature du conflit à Gaza fait qu’il est difficile d’évaluer ou de tirer des conclusions sur des incidents individuels », constate le rapport qui a été transmis au Congrès.

« Néanmoins, étant donné la dépendance significative d’Israël à l’égard des articles de défense fabriqués aux États-Unis, il est raisonnable d’estimer que les articles de défense […] ont été utilisés par les forces de sécurité israéliennes depuis le 7 octobre dans des cas incompatibles avec ses obligations en matière de droit international humanitaire », poursuit le rapport.

Toutefois, en dépit de certaines « sérieuses préoccupations », les pays recevant une aide militaire américaine ont donné des « garanties suffisamment crédibles et fiables pour permettre la poursuite de la fourniture » d’armes, conclut le rapport.

« Catastrophe humanitaire colossale »

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Des Palestiniens ont empilé leurs biens sur un véhicule alors qu’ils se dirigent vers des zones plus sûres à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, le 10 mai.

Une offensive terrestre israélienne sur Rafah conduirait à une « catastrophe humanitaire colossale », a prévenu vendredi le secrétaire général de l’ONU, au moment où les opérations militaires contre le Hamas dans cette ville surpeuplée paralysent l’entrée de l’aide dans la bande de Gaza.

Pendant ce temps, une majorité écrasante de l’Assemblée générale de l’ONU a jugé que les Palestiniens mériteraient d’être membres à part entière de l’organisation, leur octroyant quelques droits supplémentaires à défaut d’une véritable adhésion bloquée par les États-Unis.  

Ce vote symbolique, salué par l’Autorité palestinienne, a provoqué la colère d’Israël. « La violence paie », a réagi son chef de la diplomatie Israël Katz, pour qui ce vote récompense le mouvement islamiste Hamas pour son attaque du 7 octobre.  

Après plus de sept mois de combats et de bombardements israéliens incessants, des pourparlers indirects visant à arracher une trêve et éviter une offensive majeure sur Rafah se sont achevés jeudi au Caire sans parvenir à un accord.  

Le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, a assuré qu’Israël se battrait « seul » après la menace lancée pour la première fois par le président américain, Joe Biden, de cesser certaines livraisons d’armes à son allié en cas d’offensive sur la ville.

Une telle opération conduirait à une « catastrophe humanitaire colossale », a averti le chef de l’ONU Antonio Guterres, ajoutant que la famine se profilait dans le territoire palestinien.  

Tôt vendredi, des correspondants de l’AFP ont signalé des tirs d’artillerie sur cette ville, la dernière du sud de Gaza avant la frontière égyptienne où s’entassent quelque 1,4 million de Palestiniens.

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Une épaisse fumée noire s’élève au-dessus d’un bâtiment en flammes après un bombardement israélien à Rafah, le 10 mai.

Selon l’ONU, environ 110 000 personnes ont fui depuis qu’Israël a appelé lundi la population de l’est de Rafah à évacuer.

« Quelque 30 000 personnes fuient la ville chaque jour », a indiqué à Genève le responsable du bureau des Affaires humanitaires de l’ONU (OCHA) pour Gaza, Georgios Petropoulos, dont la plupart « ont déjà dû se déplacer à cinq ou six reprises » depuis le début de la guerre.

Comme Oum Soubhi, déplacée de la ville de Gaza, dans le nord : « Au début de la guerre, nous sommes allés à Rafah, puis nous avons été déplacés plusieurs fois dans la région de Rafah à cause des menaces, des frappes et de la situation effrayante et terrifiante, avant de venir à Nuseirat (centre) », a-t-elle confié à l’AFP.

« Extrêmement difficile »

Certains ont pris le chemin de Khan Younès, ville en ruines proche de Rafah, d’autres se demandaient où aller dans le territoire palestinien surpeuplé.  

« Les chars, l’artillerie et le bruit des bombardements sont incessants. Les gens ont peur », a raconté à l’AFP Abdel Rahman, un déplacé.

Des témoins ont fait aussi état vendredi de frappes aériennes et de combats dans la ville de Gaza, où quatre soldats ont été tués par un « engin explosif », selon l’armée, portant à 271 le nombre de militaires tués depuis le lancement de l’offensive israélienne au sol fin octobre.

Par ailleurs, une femme a été blessée vendredi à Beersheva, grande ville du sud d’Israël visée par deux salves de roquettes tirées depuis la bande de Gaza par le Hamas, a annoncé l’armée israélienne.

Cela fait des mois que M. Nétanyahou brandit la menace d’une offensive d’ampleur sur Rafah pour vaincre les derniers bataillons du Hamas qui y sont selon lui regroupés, faisant redouter une aggravation de la crise humanitaire dans le territoire assiégé.

Défiant les mises en garde internationales, l’armée mène depuis mardi des incursions dans l’est de Rafah et a pris le contrôle du passage frontalier avec l’Égypte, verrouillant une porte d’entrée névralgique pour les convois d’aide humanitaire.

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Vue sur Rafah, le 10 mai

L’armée a indiqué vendredi poursuivre son « opération antiterroriste de précision » dans certains secteurs de l’est de Rafah, et avoir « éliminé des cellules terroristes ».

Malgré la réouverture mercredi du passage de Kerem Shalom, voisin de Rafah, fermé par Israël pendant trois jours après des tirs de roquettes du Hamas, l’acheminement de l’aide reste « extrêmement difficile », a affirmé à l’AFP Andrea De Domenico, le chef du bureau de l’agence humanitaire des Nations unies (OCHA) dans les territoires palestiniens.  

Vendredi soir, le Cogat, organe du ministère de la Défense supervisant les affaires civiles en Cisjordanie occupée et dans Gaza, a annoncé « le transfert de 200 000 litres de carburant à des organisations internationales » via Kerem Shalom.

Accord toujours « possible »

La guerre a éclaté le 7 octobre quand des commandos du Hamas infiltrés depuis Gaza ont mené une attaque sans précédent contre Israël, faisant plus de 1170 morts, majoritairement des civils, selon un bilan de l’AFP établi à partir de données officielles israéliennes.

Plus de 250 personnes ont été enlevées et 128 restent captives à Gaza, dont 36 seraient mortes, selon l’armée.

En riposte, Israël a promis de détruire le Hamas, au pouvoir à Gaza depuis 2007, et lancé une offensive ayant fait jusqu’à présent 34 943 morts, selon le ministère de la Santé du mouvement islamiste.

L’Égypte a exhorté vendredi le Hamas et Israël à faire preuve de « flexibilité », alors que les efforts des pays médiateurs (Égypte, Qatar, États-Unis) « se poursuivent » en vue d’une trêve, malgré le départ jeudi du Caire des délégations des deux camps, selon le média égyptien Al-Qahera News.

John Kirby a lui affirmé que Washington jugeait toujours « possible » un accord sur une trêve à Gaza.

Pour le Hamas, le « rejet par Israël » de la dernière proposition de trêve ramène les négociations « à la case départ ».

Lundi, il avait donné son feu vert à une proposition de trêve en trois phases de 42 jours chacune selon lui, incluant un retrait israélien de Gaza ainsi qu’un échange d’otages israéliens et de prisonniers palestiniens, en vue d’un « cessez-le-feu permanent ».  

Israël s’oppose néanmoins à un cessez-le-feu définitif tant que le Hamas, qu’il considère comme une organisation terroriste de même que les États-Unis et l’Union européenne, ne sera pas vaincu.