Le Hamas a dit lundi soir avoir accepté une proposition de trêve soumise par les médiateurs qataris et égyptiens, tandis que l’armée israélienne menait d’intenses bombardements à Rafah, où elle prépare une offensive terrestre. Des évènements dont la synchronicité n’a rien d’un hasard, estiment des experts.

Ce qu’il faut savoir

Le Hamas a accepté lundi une proposition de trêve soumise par les médiateurs qataris et égyptiens.

L’armée israélienne prépare le terrain à une opération militaire terrestre à Rafah. Elle a sommé une partie de la population d’« évacuer immédiatement ».

Le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, fait face à un choix difficile dans sa poursuite de la guerre dans la bande de Gaza.

L’annonce faite par le mouvement islamiste palestinien intervient après des semaines de tractations infructueuses menées par l’entremise de pays médiateurs – le Qatar, l’Égypte et les États-Unis. Mais surtout, elle survient alors que Tsahal semble sur le point de mettre en œuvre la menace maintes fois proférée par le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, d’attaquer Rafah, qu’il qualifie de « dernier bastion du Hamas » dans la bande de Gaza.

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Des Palestiniens à Rafah s’apprêtent à quitter la ville pour suivre un avis d’évacuation émis par l’armée israélienne.

L’armée israélienne a elle aussi affirmé lundi qu’une offensive était indispensable pour « détruire les quatre derniers bataillons » du Hamas. Le même jour, elle a mené d’intenses bombardements sur l’est de la ville surpeuplée. Elle dit avoir frappé plus de « 50 cibles terroristes ».

Dans des tracts largués sur Rafah, l’armée israélienne avait au préalable prévenu qu’elle « s’apprêtait à agir avec force contre les organisations terroristes » et a demandé aux résidants « d’évacuer immédiatement » vers une zone humanitaire à une dizaine de kilomètres de la ville.

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Des tracts largués lundi matin sur les quartiers est de Rafah avertissent que « l’armée israélienne s’apprête à agir avec force contre les organisations terroristes ».

Cette évacuation doit préparer le terrain, selon Israël, à une opération militaire terrestre. De nombreux pays, y compris les États-Unis, principal allié d’Israël, s’y opposent, de même que bon nombre d’organisations internationales, dont l’ONU.

Un « choix » difficile

En acceptant une proposition de trêve, le Hamas place l’État hébreu – et au premier chef son premier ministre – devant un dilemme cornélien, croit Marie-Joëlle Zahar, professeure de science politique à l’Université de Montréal.

Aujourd’hui, le Hamas a mis Nétanyahou devant un choix, celui de porter l’odieux de la guerre ou de sauver la coalition interne. […] Il ne semble pas y avoir de voie de sortie où il sera gagnant sur toute la ligne.

Marie-Joëlle Zahar, de l’Université de Montréal

Thomas Juneau, spécialiste du Moyen-Orient rattaché à l’Université d’Ottawa, est du même avis. Si la proposition est acceptée, dit-il, « ce sera difficile pour Nétanyahou de survivre politiquement ». La coalition au pouvoir est formée, entre autres, d’éléments nationalistes partisans de la ligne dure sur la question israélienne. Si ceux-ci devaient désavouer le premier ministre, « sa survie politique serait en péril ». « Il a dans sa coalition des acteurs d’extrême droite hautement intransigeants qui lui feront payer très chèrement » un quelconque signe de mollesse, abonde Mme Zahar.

M. Nétanyahou n’est pas pour autant le seul acteur à se trouver sous pression, avancent les deux observateurs. C’est également le cas du Hamas, pour qui le spectre d’une offensive à Rafah pourrait expliquer l’ouverture à une proposition de trêve.

« Loin des exigences »

Le bureau du premier ministre Benyamin Nétanyahou a affirmé que la proposition était « loin des exigences israéliennes », tout en ajoutant qu’il allait envoyer une délégation « auprès de la médiation pour épuiser les possibilités de parvenir à un accord ».

Selon un haut responsable du Hamas, Khalil al-Hayya, la proposition comprendrait trois phases, chacune d’une durée de 42 jours. Elle inclurait un retrait israélien complet de la bande de Gaza, le retour des déplacés et un échange d’otages israéliens toujours retenus dans la bande de Gaza et de prisonniers palestiniens détenus par Israël.

Même si bien peu d’information a filtré quant à la nature précise de la proposition, selon les experts interrogés par La Presse, celle-ci montrerait une certaine souplesse du Hamas, mais aussi un désir de renverser la responsabilité des négociations qui achoppent. Dans un premier temps, le Hamas « a accepté l’idée d’un cessez-le-feu qui n’est pas permanent », semble-t-il, ce qui était jusqu’à récemment exclu, constate Mme Zahar.

Ensuite, l’annonce du Hamas survient quelques jours seulement après que le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, a estimé que le « seul obstacle entre le peuple de Gaza et un cessez-le-feu » était le Hamas. Sur ce point, « il vient de renverser la table », avance-t-elle.

Joie… et panique

En soirée, Rafah, où s’entassent plus d’un million de personnes, était le théâtre de scènes de joie et de tirs en l’air après l’annonce du Hamas sur une trêve.

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Malgré les frappes aériennes, ils étaient nombreux à célébrer la proposition de trêve par le Hamas à Rafah.

En journée toutefois, un responsable du Croissant-Rouge palestinien dans l’est de Rafah, Ossama al-Kahlout, a affirmé que « les habitants évacu[ai]ent dans la terreur et la panique ». Selon lui, les zones désignées par l’armée israélienne abriteraient environ 250 000 personnes.

Quant à savoir si un accord pourrait prendre forme dans les jours à venir, il semble que rien ne soit moins sûr. « Nétanyahou est rompu à l’exercice du pouvoir dans un contexte difficile, affirme Mme Zahar. Il sait comment manœuvrer pour gagner du temps, ce qu’il cherche peut-être à faire. […] Mais son objectif demeure avant toute chose de se débarrasser du Hamas. »

C’est aussi ce que croit M. Juneau, de l’Université d’Ottawa : « Israël voudra mettre de l’avant une ouverture à la négociation, pour limiter la mauvaise presse. Mais tout porte à croire qu’il veut à tout le moins mener une opération partielle à Rafah. »

Avec l’Agence France-Presse