(Amman) En participant à l’interception des projectiles lancés par l’Iran vers Israël, la Jordanie veut éviter d’être touchée par un éventuel conflit ou de devenir un « terrain de jeu » pour Téhéran, selon des responsables et des analystes.

La Jordanie, pays voisin d’Israël avec lequel elle est liée par un traité de paix depuis 1994, a annoncé avoir intercepté « des engins volants » ayant pénétré dans son espace aérien lors de l’attaque aux drones et aux missiles lancée par l’Iran contre Israël dans la nuit de samedi à dimanche.

Les forces armées jordaniennes « feront face […] à toute menace ou violation mettant en danger la sécurité et la sûreté du pays », a prévenu alors le gouvernement.  

Israël a annoncé avoir intercepté, avec l’aide des États-Unis et d’autres pays alliés dont la France et le Royaume-Uni, mais aussi la Jordanie et l’Arabie saoudite, la quasi-totalité des 350 drones et missiles lancés ce week-end par l’Iran.

La Jordanie, où environ la moitié de la population est d’origine palestinienne, est régulièrement le théâtre de nombreuses manifestations de soutien aux habitants de la bande de Gaza, où une guerre oppose depuis le 7 octobre Israël au Hamas palestinien soutenu par Téhéran.  

« Grande préoccupation »

Si la Jordanie affiche un soutien indéfectible à la cause palestinienne, ses autorités veulent se prémunir d’un débordement du conflit, d’autant plus que le pays est voisin de l’Irak et la Syrie, où l’Iran jouit d’une grande influence.

Le roi Abdallah II de Jordanie a indiqué dimanche lors d’un appel téléphonique avec le président américain Joe Biden que son pays « ne sera pas le théâtre d’une guerre régionale ».  

« La Jordanie n’a rien à voir avec la lutte d’influence entre le projet perse et le projet sioniste (dans la région), et elle ne veut pas s’impliquer dans un conflit régional », a déclaré à l’AFP l’ancien ministre jordanien de l’Information, Samih Al-Maaytah.

Le royaume, a-t-il ajouté, « n’accepte pas que son territoire ou son espace aérien soit utilisé pour une action militaire contre un pays de la région ».

Selon M. Maaytah, plusieurs pays de la région : Irak, Syrie et Liban sont déjà devenus selon lui des « terrains de jeu » pour les Iraniens.

Pour Nimrod Goren, spécialiste des affaires israéliennes au Middle East Institute, l’Iran « pourrait chercher à intervenir en Jordanie et à y changer la situation à son avantage, comme il l’a fait dans d’autres pays ».

« Cela est en soi une source de grande préoccupation pour la Jordanie », a-t-il dit à l’AFP.

La participation de la Jordanie à l’interception des drones et missiles iraniens lui a valu des critiques iraniennes.  

Une source militaire citée par l’agence iranienne de presse Fars a mis ainsi en garde la Jordanie contre « des actions potentielles » en faveur d’Israël, faute de quoi elle serait « la prochaine cible ».

Suite à ces déclarations, le ministère jordanien des Affaires étrangères a convoqué l’ambassadeur d’Iran à Amman pour demander à Téhéran de cesser de « remettre en question » les positions du royaume.  

Le chef de la diplomatie jordanienne Ayman Safadi a souligné à cet effet que si « le danger venait d’Israël, la Jordanie aurait pris les mêmes mesures ».

« Souveraineté »

Mardi, l’armée jordanienne a indiqué dans un communiqué avoir revu à la « hausse ses sorties aériennes afin […] de défendre le ciel du royaume », en prévision, selon elle, d’une potentielle riposte israélienne.

Pour M. Maaytah, « la Jordanie n’a pas défendu Israël, mais a plutôt défendu sa souveraineté et la sécurité de son territoire ».

Général à la retraite de l’armée jordanienne, Suleiman Mneezel considère aussi « l’arrivée de drones et de missiles iraniens dans le ciel du royaume comme une violation flagrante de la souveraineté jordanienne ».

Pour M. Goren, la Jordanie a joué un rôle « plus important que ce que beaucoup prévoyaient », illustrant un « positionnement […] dans le camp lié aux États-Unis dans la région ».  

Alors que l’opinion publique jordanienne reste largement hostile à Israël, 30 ans après l’accord de paix avec le pays voisin, le roi Abdallah II a qualifié à plusieurs reprises les relations avec Israël de « paix froide ».