À la veille d’une nouvelle rencontre du Conseil de sécurité de l’ONU, le Washington Post a affirmé que les armes qui auraient été utilisées pour l’envoi de phosphore blanc au Liban en octobre venaient des États-Unis. Un possible crime de guerre, selon des groupes de défense des droits de la personne.

Ce qu’il faut savoir

  • Le Washington Post a rapporté lundi qu’Israël avait utilisé des cartouches de phosphore blanc fournies par les États-Unis lors d’une frappe au Liban. L’attaque aurait détruit quatre maisons et blessé neuf civils.
  • Après l’échec à voter un cessez-le-feu en raison du veto américain, le Conseil de sécurité de l’ONU doit se réunir à nouveau ce mardi.
  • L’armée israélienne a intensifié ses raids sur la bande de Gaza lundi.

« C’est possible que les États-Unis soient complices de crimes de guerre », convient d’emblée Walter Dorn, professeur au Collège militaire royal du Canada.

Un journaliste du Washington Post s’est rendu à Dheira, ville de 2000 habitants du sud du Liban près de la frontière avec Israël. Sur place, il a enquêté sur l’allégation d’utilisation de phosphore blanc par l’armée israélienne les 10 et 16 octobre dernier, a rapporté le journal américain lundi. Une utilisation d’abord dénoncée par Amnistie internationale.

Selon le Washington Post, le journaliste a trouvé les restes de trois obus de 155 millimètres.

Les codes de production trouvés sur les obus correspondent à la nomenclature utilisée par l’armée américaine, selon le Post. Ils auraient été fabriqués en Louisiane et en Arkansas en 1989 et en 1992. D’autres détails correspondent à des cartouches de phosphore blanc.

L’attaque aurait détruit quatre maisons et blessé neuf civils, dont une personne qui a dû rester à l’hôpital plusieurs jours. « Le phosphore blanc a des effets majeurs : la substance va brûler à travers la peau, les os. Si elle touche des civils, ça va brûler à travers leur corps, », détaille M. Dorn.

Ça brûle à une température très élevée, ça reste accroché à la peau, ça imprègne le bois, les matériaux, et ça les consume.

Rémi Landry, chargé de cours à l’Université de Sherbrooke et ancien lieutenant-colonel des Forces armées canadiennes

Le gouvernement américain s’est dit « préoccupé » lundi après la publication de l’article. « Nous allons poser des questions pour essayer d’en savoir un peu plus », a déclaré John Kirby, porte-parole du Conseil de sécurité nationale de la Maison-Blanche.

Utilisation militaire restreinte

L’utilisation du phosphore blanc est encadrée par la Convention sur certaines armes classiques, qui date du début des années 1980, explique M. Dorn. Il est possible de l’utiliser pour ses effets éclairants ou fumigènes.

Pour Rémi Landry, difficile de comprendre comment l’armée israélienne pourrait avoir eu recours à cette substance à ces fins au Liban.

L’utilisation « légitime » du phosphore blanc a pour but « d’éclairer et de produire de la fumée pour dissimuler des mouvements », a aussi précisé John Kirby, de la Maison-Blanche.

Par contre, toute utilisation sur des civils ou des cibles militaires au sein de milieux civils est interdite.

Israël n’a pas ratifié la section qui concerne le phosphore blanc dans cette Convention. Par contre, les États-Unis, oui. Et ça leur donne une « certaine responsabilité » face aux utilisations des armes vendues à Israël, estiment les deux experts interrogés par La Presse.

Lorsque nous fournissons des matériaux tels que du phosphore blanc à une autre armée, c’est pour qu’il soit utilisé de cette manière légitime et en accord avec le droit des conflits armés.

John Kirby, porte-parole du Conseil de sécurité nationale de la Maison-Blanche

Rappelons que Human Rights Watch a aussi rapporté l’utilisation de phosphore blanc par l’armée israélienne dans le port de Gaza en octobre, une allégation niée par Israël.

Les bombardements s’intensifient

De nouvelles frappes de l’armée israélienne ont visé lundi les villes de Khan Younès et de Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, où sont massés des centaines de milliers de civils après avoir fui les combats dans le Nord.

PHOTO IBRAHEEM ABU MUSTAFA, REUTERS

Frappe israélienne à Khan Younès, lundi

À Khan Younès, l’armée israélienne « démantèle les infrastructures du Hamas », a affirmé lundi soir le porte-parole de l’armée, Daniel Hagari. Selon lui, « plus de 500 terroristes » ont par ailleurs été arrêtés depuis un mois dans la bande de Gaza. Un total de 104 soldats israéliens sont morts depuis le début des combats terrestres.

Selon le ministère de la Santé du Hamas, plus de 18 200 personnes ont perdu la vie dans le territoire palestinien depuis la riposte israélienne, majoritairement des femmes, des enfants et des adolescents.

PHOTO FATIMA SHBAIR, ASSOCIATED PRESS

Une maison détruite par une frappe israélienne à Rafah, lundi

Des roquettes tirées de Gaza vers Israël ont par ailleurs provoqué des dégâts et fait un blessé léger à Holon, dans la banlieue de Tel-Aviv, a indiqué la police lundi.

« Apocalyptique »

La situation dans la bande de Gaza est « apocalyptique », a averti lundi le patron de la diplomatie européenne Josep Borrell, pour qui le niveau de destruction dans le territoire palestinien est « plus ou moins, voire supérieur » à celui de l’Allemagne lors de la Seconde Guerre mondiale.

PHOTO IBRAHEEM ABU MUSTAFA, REUTERS

Des déplacés palestiniens cherchent refuge dans un camp à Khan Younès.

« Tout est parti. Il me reste quatre enfants sur onze », a témoigné à l’Agence France-Presse Oum Mohammed-al-Jabri, une femme de 56 ans. Hébergée chez son frère à Rafah, elle a perdu sept enfants dans une frappe sur leur maison, en pleine nuit. « Nous sommes allés de Gaza jusqu’à Khan Younès puis nous avons été déplacés jusqu’à Rafah. Cette nuit, ils ont bombardé la maison et l’ont détruite. Ils avaient dit que Rafah serait un endroit sûr. Il n’y a pas d’endroit sûr. »

Avant de se rendre dans le territoire, le directeur de l’agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA), Philippe Lazzarini, a déclaré pour sa part que « de plus en plus de personnes n’ont pas mangé depuis un jour, deux jours, trois jours… Les gens manquent de tout ».

« Des foules attendent pendant des heures autour des centres de distribution de l’aide, les gens ont désespérément besoin de nourriture, d’eau, d’un abri, de soins et de protection », tandis que « l’absence de latrines ajoute aux risques de propagation de maladies », a indiqué lundi le Bureau de coordination des affaires humanitaires de l’ONU (OCHA).

Nouveaux points de contrôle

L’armée israélienne a annoncé lundi soir la mise en place de deux points de contrôle supplémentaires pour l’inspection de l’aide humanitaire internationale avant son entrée dans le territoire palestinien par Rafah.

« Cette mesure permettra de doubler la quantité d’aide humanitaire pénétrant dans la bande de Gaza », a déclaré l’armée sur X.

Aucun nouvel accès ne sera ouvert, a précisé l’armée, mais les points de passage de Nitzana et de Kerem Shalom seront utilisés pour effectuer des contrôles avant de faire passer les camions par Rafah.

Avec l’Agence France-Presse