L’étendue des dommages causés par les bombardements israéliens aux résidences et aux infrastructures civiles de la bande de Gaza suscite des interrogations quant aux intentions du gouvernement du premier ministre Benyamin Nétanyahou, qui se voit accusé de vouloir rendre le territoire palestinien invivable.

Le rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à un logement convenable, Balakrishnan Rajagopal, a indiqué vendredi à La Presse par courriel que « tous les éléments disponibles » suggèrent qu’Israël cherche « volontairement » et « systématiquement » à maximiser la destruction de bâtiments civils.

Les autorités israéliennes affirment le contraire et disent procéder avec précision et prudence pour « détruire le Hamas » tout en minimisant l’impact sur la population palestinienne.

Le niveau de destruction des bâtiments civils « rend tout retour à la normale à Gaza extrêmement difficile, voire impossible, une fois que le conflit sera terminé », estime M. Rajagopal, qui appuie ses conclusions sur les relevés de destruction les plus récents et les commentaires de plusieurs dirigeants israéliens.

PHOTO ADEL HANA, ASSOCIATED PRESS

Civils palestiniens à la recherche de corps de victimes après une frappe israélienne dans un camp de réfugiés du centre de la bande de Gaza, vendredi

Le « ciblage volontaire de résidences est prohibé par le droit international humanitaire comme un crime de guerre », prévient M. Rajagopal, qui aimerait faire reconnaître légalement la notion de « domicide » et en faire un « crime contre l’humanité » à part entière.

Des destructions à grande échelle de ce type ne sont pas nouvelles, mais elles deviennent « de plus en plus fréquentes » dans les guerres en raison de l’urbanisation croissante des populations, souligne le représentant onusien, qui évoque les exemples de Marioupol, en Ukraine, et d’Alep, en Syrie.

Des données révélatrices

Deux chercheurs américains qui ont analysé l’impact de la campagne de bombardements à Gaza en utilisant des images satellitaires sont arrivés à la conclusion qu’entre 29 et 37 % des bâtiments du territoire palestinien ont été endommagés ou détruits depuis deux mois, soit entre 82 500 et 105 300.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

« À titre indicatif, l’île de Manhattan, où je vis, compte environ 45 000 bâtiments… Nous avons identifié l’équivalent de deux Manhattan de bâtiments touchés à Gaza, bien qu’ils soient évidemment de tailles différentes dans les deux endroits », a illustré Corey Scher, de la Central University of New York.

Le pourcentage de bâtiments touchés est plus élevé dans le nord de la bande de Gaza, où a débuté la campagne de bombardements. Il atteint entre 56 et 69 %.

Les chiffres augmentent maintenant presque aussi rapidement au sud, dans la région de Khan Younès, où l’armée israélienne a intensifié ses actions depuis une semaine, souligne Jamon Van Den Hoeck, de l’Oregon State University, qui travaille avec M. Scher.

Campagne « indiscriminée »

Robert Pape, un professeur de l’Université de Chicago ayant étudié l’histoire des bombardements, notait il y a quelques jours dans Foreign Affairs que Gaza doit désormais être ajouté à la liste « tristement célèbre » des endroits détruits par des campagnes « indiscriminées ».

Ces campagnes, prévient-il, ont souvent été pensées pour encourager la population touchée à se soulever contre ses dirigeants, mais n’ont jamais fonctionné, notamment lorsque les Alliés ont bombardé des villes allemandes durant la Seconde Guerre mondiale.

L’effet final à Gaza pourrait être de renforcer le soutien de la population au Hamas, ajoute le chercheur.

Kobi Michael, analyste de l’Institute for National Security Studies de Tel-Aviv, note que les mises en garde de cette nature « n’ont aucun effet » sur la détermination du gouvernement israélien.

« La communauté internationale a un parti pris contre Israël », relève le chercheur en insistant sur le fait que l’armée respecte le droit international et cherche par tous les moyens à éviter de faire des victimes civiles innocentes ou d’endommager indûment les infrastructures civiles.

PHOTO JACK GUEZ, AGENCE FRANCE-PRESSE

Scène de destruction dans le nord de la bande de Gaza, vendredi

Le véritable responsable des destructions en cours est le Hamas, qui n’hésite pas, dit-il, à utiliser les civils comme boucliers humains pour compliquer la tâche de l’armée israélienne.

« Nous irons au bout de la mission », relève M. Michael, qui s’attend à ce que l’opération en cours à Khan Younès dure une dizaine de jours.

« C’est le second centre opérationnel en importance pour le Hamas après la ville de Gaza. Nous ciblerons sans doute ensuite Rafah avant de commencer à renvoyer des réservistes », relève le chercheur. Il s’attend à ce que l’armée conserve un important contingent sur place pour « faire le ménage » parmi les forces résiduelles du Hamas pendant plusieurs mois supplémentaires.

Le rôle de la communauté internationale

Dans un scénario idéal, note M. Michael, Israël céderait ensuite le contrôle du territoire à des pays arabes alliés de Tel-Aviv qui pourraient, de concert avec les États-Unis, le chapeauter en attendant qu’un gouvernement fonctionnel puisse être rétabli et les bâtiments reconstruits.

Béatrice Vaugrante, qui chapeaute Oxfam-Québec, pense que la communauté internationale doit hausser le ton pour obtenir un cessez-le-feu dans les plus brefs délais plutôt que de laisser l’affrontement suivre son cours.

PHOTO FATIMA SHBAIR, ASSOCIATED PRESS

Décombres d’une maison touchée par une frappe de l’armée israélienne à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza

Les Israéliens, dit-elle, ne peuvent pas maintenir qu’ils « font attention » alors que les morts et les blessés civils se comptent par dizaines de milliers et que près de 80 % de la population de Gaza a été contrainte d’abandonner son logis.

La destruction d’un pourcentage important de bâtiments résidentiels ajoute à la gravité de la situation, note la porte-parole de l’organisation humanitaire, qui étudie actuellement la portée légale de la destruction à grande échelle des infrastructures civiles.

« Le droit international n’existe pas seulement pour être encadré sur les murs », conclut Mme Vaugrante.