Tandis que les heurts entre Israël et le Hamas se poursuivaient sur le terrain, le président américain Joe Biden a estimé mardi que l’État hébreu avait été frappé « par le mal à l’état pur »

(Gaza) Un lourd tribut pour les civils des deux camps

De part et d’autre, le conflit entre Israël et le Hamas aurait déjà fait entre 2000 et 3000 morts, environ 7000 blessés, une centaine d’otages et 263 000 Palestiniens déplacés en raison d’un siège condamné mardi par l’ONU.

PHOTO SAID KHATIB, AGENCE FRANCE-PRESSE

Une Palestinienne éplorée se tient près d’un camion transportant les corps de victimes de frappes israéliennes à Khan Younès.

Rare éclaircie dans l’escalade de la terreur, les forces israéliennes ont annoncé avoir retrouvé dans un kibboutz du sud du pays 30 personnes qui étaient portées disparues. « À travers la grande noirceur, nous avons vu un petit peu de lumière [lundi soir] », a déclaré Yossi Graiber, un officier du commandement du Front intérieur.

Le premier ministre d’Israël, Benyamin Nétanyahou, a qualifié l’offensive massive lancée samedi par le Hamas contre Israël de « sauvagerie jamais vue depuis la Shoah », promettant que son pays allait « vaincre [le groupe palestinien] avec de la force, énormément de force ».

PHOTO YOUSEF MASOUD, THE NEW YORK TIMES

Des Palestiniens constatent les dommages faits par les frappes israéliennes, qui se sont abattues sur le territoire palestinien par milliers.

Le siège total de Gaza par Israël se poursuit, dénoncé par l’ONU. « L’imposition de sièges qui mettent en danger la vie des civils en les privant de biens essentiels à leur survie est interdite par le droit international humanitaire », a déclaré le haut-commissaire aux droits de l’homme, Volker Türk, dans un communiqué.

L’Organisation mondiale de la santé a réclamé en vain, mardi, l’établissement de couloirs humanitaires « pour acheminer les fournitures médicales essentielles aux populations » de la bande de Gaza.

Des hôpitaux dépassés, des morgues qui débordent

Du côté de Gaza, la seule frontière pour fuir vers l’Égypte était bloquée, mardi. Les hôpitaux débordés de Gaza « qui soignent les milliers de blessés vont devoir le faire sans pouvoir compter sur une alimentation fiable en électricité », a déclaré Mahmoud Shalabi, l’un des dirigeants de l’organisation humanitaire Aide médicale pour les Palestiniens.

Les médias internationaux relaient les images de morgues qui débordent, de soldats israéliens ouvrant à des fins d’identification des sacs mortuaires de victimes du raid de samedi, d’endeuillés enterrant leurs morts, d’enfants qui courent pour fuir les bombes et de militaires effondrés. Sur les visages, en Israël comme dans la bande de Gaza, la panique et la détresse.

Revenant sur les attaques de samedi, Moti Bukjin, porte-parole de l’ONG Zaka, qui participe à la collecte des corps en Israël, a expliqué que les hommes du Hamas « tiraient sur tout le monde ». « Ils ont assassiné de sang-froid des enfants, des bébés, des gens âgés, tout le monde. »

Dans les grandes villes israéliennes, le quotidien, depuis samedi, est fait de sirènes et de courses vers les abris. Comme le rapporte l’Agence France Presse, la vie semble à l’arrêt. Tables et chaises restent vides dans de nombreux restaurants d’un marché de Tel-Aviv. Jérusalem « est une ville fantôme », résume Mary Bahba, une quadragénaire palestinienne.

Un conflit qui s’étend

« Il y a dans l’existence des moments […] où le mal à l’état pur frappe le monde. Le peuple d’Israël vient de vivre l’un de ces moments, par les mains couvertes de sang de l’organisation terroriste Hamas », a déclaré mardi le président américain Joe Biden.

Il a indiqué par ailleurs être prêt à envoyer « des ressources supplémentaires », notamment en appui au « dôme de fer », le système de défense antimissile d’Israël.

Israël a mobilisé 300 000 réservistes et déployé des dizaines de milliers de soldats autour de Gaza et à sa frontière nord avec le Liban.

Et déjà, le conflit s’étend. Des salves de roquettes, revendiquées par le Hamas, ont de nouveau été tirées du sud du Liban vers Israël, provoquant une riposte de l’État hébreu, qui dit y avoir visé des positions du Hezbollah pro-iranien.

Israël a aussi annoncé avoir tiré des obus sur la Syrie à partir du plateau du Golan, aussi en riposte à des tirs de projectiles dans ce territoire qu’Israël occupe depuis 1967.

Selon le New York Times sur place, des hôpitaux, des écoles et des mosquées auraient été touchés dans la bande de Gaza par les frappes israéliennes, sans que des préavis soient donnés aux civils pour se mettre à l’abri comme le faisait Israël lors de précédents conflits.

Et de toute manière, ont dit les Palestiniens au New York Times, il n’y a aucun endroit où se réfugier.

Que des perdants, sauf l’Iran

Samedi, le Hamas a démontré « une puissance de feu sans précédent, et la riposte d’Israël est plus violente que jamais. Le déchaînement de la violence est difficilement qualifiable », résume en entrevue Julia Grignon, professeure agrégée à la faculté de droit de l’Université Laval, où elle enseigne notamment le droit international humanitaire.

Thomas Juneau, professeur agrégé de l’Université d’Ottawa et spécialiste du Moyen-Orient, fait observer que le massacre de samedi « est l’une des pires attaques terroristes de l’Histoire. La réplique d’Israël va atteindre un niveau de destruction qu’on n’a jamais vu ».

Rare certitude, dit-il, Palestiniens et Israéliens seront tous perdants. « La cause palestinienne – non pas celle du Hamas, mais celle de l’émancipation et de la dignité de la population palestinienne – n’avancera pas. Et la société israélienne, elle, est plongée dans une crise de confiance, dans un choc psychologique profond. »

Le seul vainqueur dans tout cela, « c’est l’Iran, qui se positionne dans la région en champion de la résistance face à Israël et aux États-Unis ».

Si quantité de questions demeurent sur ce qui est arrivé, « celle de l’implication de l’Iran n’est pas sujette à débat », dit M. Juneau.

Jamais le Hamas n’aurait pu faire pareil massacre samedi sans l’Iran, qui le soutient « avec des missiles, des roquettes, de l’argent, en renseignements, etc. ».

Et le droit international ?

Massacres il y a eu samedi et siège il y a présentement à Gaza par Israël. Comme dans tout conflit armé, il y a des violations du droit international, fait observer la professeure Julia Grignon.

Le siège comme méthode de guerre « n’est pas en tant que tel interdit dans les Conventions de Genève, poursuit-elle. En revanche, toutes les conséquences produites par le siège produisent des violations du droit international humanitaire. Car les coupures d’électricité, par exemple, sont non seulement subies par le Hamas, mais par tous les civils palestiniens, elles touchent les hôpitaux… ».

Mme Grignon rappelle qu’« il faut faire la distinction entre le Hamas et les civils palestiniens, qui doivent être protégés ».

Mais il n’existe pas de police du droit international capable d’agir sur-le-champ et, au mieux, ce ne sont que des années plus tard que la justice internationale se manifeste.

Soulignons que les plus récentes élections palestiniennes remontent à 2006. Le Hamas les avait remportées, explique le professeur Thomas Juneau, parce qu’il apparaissait comme un moindre mal « par rapport au Fatah, un parti corrompu, incompétent et considéré comme illégitime par une grosse majorité de Palestiniens ».

En 2006, certains électeurs ont réellement appuyé le Hamas, mais « beaucoup l’ont fait en se pinçant le nez », par défaut.

Avec l’Agence France-Presse et l’Associated Press