Israël continue, tout en se montrant avare de commentaires, de frapper des positions iraniennes en Syrie afin de limiter la possibilité que Téhéran l’attaque à partir de ce territoire.

Ce qu’il faut savoir

L’armée israélienne a frappé lundi l’aéroport d’Alep, dans le nord de la Syrie, le rendant inutilisable.

Des centaines de frappes de cette nature ont été réalisées depuis une dizaine d’années dans le but d’empêcher les forces iraniennes présentes en Syrie de se renforcer et de pouvoir menacer le territoire israélien.

Bien qu’Israël et l’Iran soient engagés dans une guerre larvée depuis longtemps, aucun ne veut à ce stade d’un affrontement frontal, puisque le prix à payer serait trop important, affirment des analystes interrogés par La Presse.

Ces opérations aériennes, qui se compteraient par centaines, selon un haut gradé israélien, s’inscrivent dans le cadre d’une guerre larvée vieille de dix ans.

Le gouvernement israélien cherche à empêcher le régime iranien d’accroître ses capacités militaires sur le sol syrien en frappant des dépôts de munitions, des infrastructures stratégiques ainsi que des postes de commandement.

« Il y a aussi un message dissuasif visant à avertir les Iraniens qu’Israël est au courant de leur présence et va leur faire payer le prix », relève Thomas Juneau, spécialiste du Moyen-Orient rattaché à l’Université d’Ottawa.

Lundi, le gouvernement syrien a affirmé que des avions israéliens avaient procédé à une nouvelle « agression aérienne » en frappant l’aéroport d’Alep, dans le nord du pays. L’Observatoire syrien pour les droits de l’homme a indiqué qu’une base militaire voisine avait aussi été ciblée.

L’armée israélienne s’est bornée à dire à l’Agence France-Presse qu’elle ne commentait pas les articles de médias internationaux sur ce type de sujet.

La Russie dans la partie

M. Juneau note que les interventions israéliennes ont commencé pendant la guerre civile en Syrie après que l’Iran a mobilisé le Hezbollah libanais, des membres du Corps des gardiens de la révolution islamique et des milices en soutien au régime de Bachar al-Assad.

« La présence iranienne était d’abord de nature défensive, pour appuyer le régime syrien, mais a pris ensuite un caractère offensif face à Israël », relève l’analyste.

Les frappes aériennes menées depuis sur le sol syrien par le régime israélien ne seraient pas possibles sans une entente avec la Russie, qui contrôle l’espace aérien.

Le régime du président russe, Vladimir Poutine, qui a aussi joué un rôle clé dans le maintien en selle de Bachar al-Assad, accepte de laisser les militaires israéliens agir parce qu’il voit d’un bon œil la possibilité que la position iranienne dans le pays soit fragilisée, note M. Juneau.

PHOTO TIRÉE DU SITE WEB DE L’UNIVERSITÉ D’OTTAWA

Le spécialiste du Moyen-Orient rattaché à l’Université d’Ottawa Thomas Juneau

L’Iran et la Russie ont accepté de travailler ensemble en Syrie pendant la guerre civile, mais ce n’est pas une relation harmonieuse. Il y a beaucoup de méfiance.

Thomas Juneau, spécialiste du Moyen-Orient rattaché à l’Université d’Ottawa

Israël a opté pour une position de neutralité relativement à la guerre en Ukraine dans les dernières années afin de ne pas susciter l’ire de Moscou.

La permissivité du Kremlin face aux attaques israéliennes a tout pour déplaire à l’Iran, qui s’est associé à l’effort de guerre russe contre Kyiv en fournissant des drones.

« Les Iraniens pensent cependant que le maintien de bonnes relations avec la Russie est plus important que d’obtenir la fin des attaques israéliennes en Syrie », souligne Amin Saikal, professeur émérite d’études sur le Moyen-Orient et l’Asie centrale à l’Australian National University.

Armés jusqu’aux dents

Les frappes sur le sol syrien ne reflètent qu’une partie du conflit entre les deux pays, puisqu’Israël a aussi lancé plusieurs opérations pour limiter les capacités nucléaires de l’Iran, tant par des cyberattaques que par des attaques contre des scientifiques de haut niveau. Plusieurs navires iraniens ont aussi été ciblés au fil des ans. Quelques frappes directes en territoire iranien ont aussi été rapportées.

L’Iran, note M. Saikal, a armé le Hezbollah « jusqu’aux dents », ainsi que le Hamas et le Djihad islamique à Gaza de manière à pouvoir faire pression sur Israël tout en s’en prenant aux agents des services de renseignements israéliens et au personnel diplomatique du pays « partout où c’était possible ». Le régime a aussi frappé à plusieurs reprises des navires israéliens.

Malgré ces points de tension multiples, aucun des deux pays ne veut à ce stade d’un affrontement direct à grande échelle, « puisqu’ils savent que le coût à payer serait trop élevé », note M. Saikal.

M. Juneau note quant à lui que le Hezbollah dispose aujourd’hui de missiles sensiblement plus puissants que par le passé qui sont en théorie capables de frapper partout en Israël.

Le système antimissile israélien pourrait être submergé s’il y a des tirs de missiles simultanés à partir du Liban, de la Syrie et de Gaza.

Thomas Juneau, spécialiste du Moyen-Orient rattaché à l’Université d’Ottawa

L’Iran doit composer pour sa part avec le fait qu’Israël dispose d’un arsenal militaire plus sophistiqué et que les États-Unis seraient sans doute contraints d’intervenir en cas de conflit ouvert, indique M. Saikal.

Bien que le gouvernement américain dise vouloir s’entendre avec l’Iran pour rétablir l’accord nucléaire désavoué par l’ex-président Donald Trump en 2018, les pourparlers piétinent.

Il paraît improbable que Téhéran, qui a multiplié les avancées dans ce domaine au cours des dernières années, accepte des contraintes similaires à celles qui avaient été entérinées à l’époque dans le but de l’empêcher de se doter d’une arme nucléaire, note M. Juneau.

Le gouvernement israélien a déjà fait savoir de son côté qu’il ne se sentirait pas lié par un tel accord et continuerait à agir comme il le juge nécessaire face à l’Iran pour assurer sa sécurité.