La police de l’Iran a annoncé samedi l’installation de caméras dans des endroits publics pour pouvoir sévir contre les femmes qui ne portent pas le voile. Des textos leur seront aussi envoyés pour les « prévenir des conséquences » qu’elles encourent. Jusqu’où le régime ira-t-il et peut-il être freiné ? Entrevue avec Thomas Juneau, professeur d’affaires publiques et internationales à l’Université d’Ottawa.

Des caméras traqueront en Iran les femmes qui ne portent pas le voile, ce qui facilitera leur mise à l’amende ou leur arrestation. En êtes-vous surpris ?

Non, car l’appareil répressif et de surveillance de la République islamique est déjà très étendu. Les gouvernements autoritaires dans le monde – la Chine, l’Iran, etc. – sont en train de recourir massivement à l’intelligence artificielle, à la reconnaissance faciale… C’est un développement très inquiétant.

Le peuple qui manifeste en Iran risque gros, mais les expatriés – au Canada ou ailleurs – ont eux aussi peur d’être visés.

Avec raison. La question de la répression transnationale faite par les gouvernements autoritaires demeure mal comprise, alors qu’elle est de plus en plus forte. Les Irano-Canadiens qui militent en faveur de la démocratie et des droits de la personne sont surveillés et leurs activités sur l’internet sont espionnées. Ils sont soit directement victimes d’intimidation ou ils ont peur que leur famille qui se trouve toujours en Iran soit visée par des menaces.

Comment expliquer qu’un régime aussi contesté réussisse à contrôler encore toute une population ? Est-il exact, comme on l’entend, que des gens qui n’ont plus de quoi manger en viennent à mater les manifestants dans les rues contre rémunération ?

La base de soutien au régime est estimée à 10 % à 20 % de la population. Une toute petite minorité d’Iraniens – issus surtout des milieux ouvriers ou ruraux – sont loyaux au régime. Les autres sont effectivement des gens financièrement dépendants. Ils sont soit dans la fonction publique, soit dans les Basij – la milice affiliée aux Gardiens de la Révolution. Certains jeunes paient comme cela leurs études. Leur loyauté est achetée. En additionnant les gens dans l’armée, dans la police, dans les Basij, on en arrive à des centaines de milliers de personnes, qui sont entre autres attitrées aux activités de surveillance qui requièrent beaucoup de main-d’œuvre.

La répression se poursuit et beaucoup d’Iraniens d’origine vivent au pays. Pourtant, les gouvernements du Canada et du Québec parlent peu de la situation en Iran.

Le Canada a clairement pris position contre le régime, mais l’Iran n’est pas une priorité canadienne en matière de politique étrangère, contrairement à l’Ukraine ou à la Chine. Nos relations commerciales avec ce pays sont presque à zéro. On compte néanmoins quelque 300 000 Iraniens d’origine au pays dont certains sont très mobilisés et qui demandent au Canada d’en faire plus. Mais la grande question, c’est de savoir ce qui peut être efficace plutôt que purement symbolique.

PHOTO ATTA KENARE, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Caméras de surveillance dans une rue de Téhéran

Que demandent les dissidents ?

Un soutien matériel direct pose la question de la sécurité des manifestants, qui sont déjà des cibles. De l’aide en matière de communication cryptée – le VPN – peut être une avenue. Le soutien aux syndicats iraniens en est une autre, mais contrairement à la Révolution islamique de 1979, on ne peut pas imaginer cette fois que des grèves nationales feront chuter le régime. Les syndicats ont été matés et ils n’ont pas les moyens de soutenir financièrement leurs membres qui feraient la grève. La question logistique reste aussi entière, car d’un point de vue pratico-pratique, comment aider les syndicats ou les dissidents en général ? On ne peut pas simplement entrer en Iran avec des mallettes pleines d’argent. Reste aussi l’idée de parrainer des prisonniers politiques comme l’ont fait certains parlementaires à Ottawa et que pourraient aussi faire des députés du gouvernement québécois. Quand l’attention est portée sur un prisonnier, on peut supposer que cela puisse lui épargner l’exécution. Mais il reste que ces parrainages se font au cas par cas et qu’il y aurait au moins 15 000 prisonniers présentement en Iran.

Et l’asile politique ?

Les figures de proue de l’opposition en exil réclament de fait aux gouvernements occidentaux, y compris au Canada, d’accueillir des dissidents. Cette demande a été réitérée par un groupe très en vue de dissidents qui étaient de passage à Ottawa il y a trois semaines. Parmi eux se trouvaient Reza Pahlavi (le fils du dernier shah d’Iran), Hamed Esmaelion (un dentiste de Toronto qui a perdu sa femme et sa fille dans l’avion qui a été abattu en 2020 par un missile lancé par les Gardiens de la Révolution islamique) et Nazanin Boniadi, actrice très engagée qui a joué dans la série Homeland.

Le régime iranien affiche-t-il des signes de faiblesse ?

Certains dissidents estiment que sa chute est imminente, mais je ne le crois pas. La lutte sera longue. En même temps, le régime est fragilisé et il aurait tort d’espérer un retour au statu quo d’avant septembre. Les manifestations vont se poursuivre.