Des voix s’élèvent contre la décision des talibans d’interdire aux Afghanes de travailler pour des ONG

En pleine crise humanitaire, les femmes et les filles afghanes sont les premières victimes de la nouvelle interdiction des talibans les empêchant de travailler pour des organisations non gouvernementales. Une décision décriée par la communauté internationale, y compris le Canada.

« Pour nous, avec la situation sur le terrain en Afghanistan, c’est la pire nouvelle qu’on puisse avoir », déplore Patrick Robitaille, responsable des affaires humanitaires de l’organisation internationale Save the Children, lui-même établi à Montréal.

Comme d’autres organismes, Save the Children a pris la difficile décision de suspendre ses activités en Afghanistan à la suite du décret des talibans interdisant aux femmes de travailler pour des organisations non gouvernementales (ONG) samedi dernier.

Cette interdiction s’ajoute à une série de mesures visant à restreindre l’accès aux femmes à la vie publique depuis le retour au pouvoir des talibans en août 2021. La dernière en date : empêcher les femmes d’étudier à l’université.

Jeudi, le Canada a joint sa voix à celles d’autres pays du G7 pour appeler les talibans à revenir sur leur décision, décrite comme « imprudente » et « dangereuse ». L’ONU a aussi assuré qu’elle poursuivrait ses efforts de négociations avec les talibans.

« Les talibans continuent de manifester leur mépris des droits, des libertés et du bien-être du peuple afghan, en particulier des femmes et des filles, et leur désintérêt pour des relations normales avec la communauté internationale », a dénoncé sur Twitter Mélanie Joly, ministre des Affaires étrangères.

« Si [les femmes] ne sont pas en mesure de participer à l’acheminement de l’aide en Afghanistan, les ONG ne pourront pas atteindre les personnes les plus vulnérables du pays pour leur fournir la nourriture, les médicaments, l’hivernage et les autres matériels et services dont ces personnes ont besoin pour vivre », a aussi affirmé Affaires mondiales Canada dans une déclaration conjointe avec les autres pays du G7, le Conseil de sécurité et le secrétaire général de l’ONU António Guterres, jeudi soir.

Consultez la déclaration commune des ministres des Affaires étrangères des pays du G7

Les femmes, essentielles au travail des ONG

Près de la moitié des employés afghans de Save the Children sont des femmes, soit 2500 travailleuses sur 5700 au total, indique M. Robitaille. Maintenir les activités de l’organisation sans elles est un défi logistique impossible.

Outre leur poids au sein de la main-d’œuvre, ces employées sont aussi essentielles pour atteindre la population la plus vulnérable. « Sans nos employées féminines, c’est très difficile d’accéder aux femmes et aux filles à travers l’Afghanistan », déplore Reyhana Patel, directrice des communications à Islamic Relief Canada. L’organisme a suspendu toutes ses activités, à l’exception de celles qui offrent un soutien d’urgence.

« Suspendre nos opérations n’est pas une décision qu’on a prise à la légère, mais on n’avait pas le choix, explique aussi Annika Hampson, responsable de l’Iran et de l’Afghanistan pour le Norwegian Refugee Council. Sans les femmes, nous ne pouvons simplement pas accéder à la population la plus vulnérable. »

Une exception a été faite jusqu’à maintenant pour les employées du secteur de la santé. Les femmes travaillant pour l’organisme Médecins sans frontières peuvent donc continuer leur travail, assure Sarah Chateau, responsable des opérations pour l’organisme.

« Mais c’est clair que si un jour on ne peut plus soigner les femmes, ou si on ne peut pas travailler avec les femmes, ça fait partie de la ligne rouge pour nous, soutient Mme Chateau. Si demain on nous interdit de soigner les femmes, à ce moment, les hommes vont devoir faire face à leur décision et se soigner eux-mêmes. »

Une crise humanitaire 

En ce début d’hiver, les conditions sont catastrophiques pour une grande partie de la population afghane. Dans ce pays, près de la moitié de la population – soit 23 millions de personnes – souffre de la faim.

Lisez l’article « Faim dans le monde : une crise sans précédent »

Il y a une crise à la grandeur de l’Afghanistan due à l’inflation, à l’insécurité, en plus d’une grande sécheresse et d’inondations. C’est un cocktail explosif.

Patrick Robitaille, responsable des affaires humanitaires de l’organisation internationale Save the Children

En août dernier, le Conseil de sécurité de l’ONU avait prévenu que la famine guettait 6 millions de personnes en raison des « crises humanitaires, économiques, climatiques, alimentaires et financières qui s’abattent sur le pays ».

« Les histoires qu’on entend du terrain sont accablantes », s’insurge Mme Patel d’Islamic Relief. « Dans les derniers mois, une histoire que j’ai entendue encore et encore était celle de mères qui doivent choisir entre nourrir leur famille ou marier leurs filles les plus jeunes. »

Que peuvent faire les Québécois face à ce drame à l’autre bout du globe ? « On a un devoir de solidarité, estime Patrick Robitaille. Alors qu’on passe à une nouvelle année, il ne faut pas que les Afghans soient oubliés, aussi difficile que ce soit. »

En savoir plus
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    Nombre d’Afghans arrivés au Canada en date du 30 décembre 2022, en vertu du programme #BienvenueAfghans
    SOURCE : Gouvernement du Canada
    40 000
    Nombre d’Afghans que le Canada prévoit accueillir au total.
    SOURCE : Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada