(Kaboul) Des centaines de jeunes femmes ont été empêchées mercredi par des gardes armés d’entrer dans les campus universitaires en Afghanistan, au lendemain de la décision des autorités d’interdire les études supérieures aux jeunes femmes, déjà privées d’enseignement secondaire.

Mercredi, des journalistes de l’AFP ont pu voir des groupes d’étudiantes, abasourdies par la nouvelle, se rassembler devant les grilles fermées des universités à Kaboul, bloquées par des gardes armés pour les empêcher d’y pénétrer.

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« Nous sommes condamnées nous avons tout perdu », a indiqué une étudiante refusant d’être identifiée de peur des représailles des talibans qui patrouillaient autour des établissements scolaires.  

La plupart des universités fermées jusqu’en mars en raison des vacances d’hiver étaient pour certaines restées ouvertes jusqu’ici en raison d’ultimes examens.

Depuis l’accession au pouvoir des fondamentalistes islamistes en août 2021, après 20 ans de guerre avec les Américains et les forces de l’OTAN, les femmes ont vu leur liberté se restreindre au fil des mois malgré les condamnations internationales.

Mardi soir tard, le régime, à l’interprétation ultra-rigoriste de l’islam, a annoncé que les universités afghanes publiques et privées étaient désormais interdites aux filles pour une durée indéterminée.

Aucune explication n’a été fournie pour le moment pour justifier cette décision.

Sur un trottoir de Kaboul, un jeune homme étudiant en droit, témoignait de son incompréhension face une décision qui illustre l « analphabétisme », « l’ignorance dans l’islam » et « le peu de respect dans les droits humains » des talibans, selon lui.

Ils veulent « supprimer les femmes […] qu’elles restent à la maison et donnent naissance à des enfants. C’est tout. Ils ne veulent rien de plus pour elles », a déploré Setara Farahmand, 21 ans étudiante en littérature allemande dans la capitale.  

Sur les réseaux sociaux sous le hashtag #LetHerLearn, les indignations se multipliaient. Certains utilisateurs ont partagé des images d’étudiants de la faculté de médecine de l’Université de Nangarhar (est de l’Afghanistan) interrompant leurs examens en solidarité avec leurs camarades jeunes filles.  

Un professeur de mathématiques à Kaboul a également annoncé sa démission sur Facebook, déclarant qu’il ne voulait pas continuer à enseigner « là où les jeunes filles ne sont pas autorisées à étudier ».

Condamnation du Qatar

Le Qatar, pays musulman, qui a joué un rôle clé dans la facilitation des pourparlers entre l’Occident et les talibans, a déclaré que tout le monde a droit à l’éducation et a exhorté les dirigeants afghans à revoir leur décision « conformément aux enseignements de la religion islamique ».

De même, l’Organisation de la coopération islamique (OCI) a indiqué que l’interdiction « portait gravement atteinte à la crédibilité du gouvernement ».

Cette nouvelle interdiction intervient moins de trois mois après que des milliers de filles et de femmes ont passé les examens d’entrée à l’université dans tout le pays.

Nombre d’entre elles aspiraient à choisir entre des carrières d’ingénieur ou de médecin, bien que privées d’accès aux écoles secondaires.

« Quand j’ai vu la nouvelle sur l’internet […] j’ai été choquée et surprise. J’ai fondu en larmes », a témoigné mercredi Amini qui suit des cours pour devenir infirmière à Kunduz au nord de l’Afghanistan.

L’étudiante de 23 ans qui a appris la nouvelle avec ses trois autres sœurs explique avoir le sentiment d’être comme un « oiseau en cage ».

Paris, par la voix du ministère des Affaires étrangères, a également dénoncé une décision qui « vient s’ajouter à la liste des innombrables violations et restrictions aux droits et libertés fondamentales des Afghanes prononcées par les talibans » et jugé la mesure « profondément choquante ».  

En dépit de leurs promesses de se montrer plus souples, les talibans sont revenus à l’interprétation ultra-rigoriste de l’islam qui avait marqué leur premier passage au pouvoir (1996-2001).

Depuis 16 mois, les mesures liberticides se sont multipliées en particulier à l’encontre des femmes qui ont été progressivement écartées de la vie publique et exclues des collèges et lycées.

Dans une volte-face inattendue, le 23 mars, les talibans avaient refermé les écoles secondaires quelques heures à peine après leur réouverture annoncée de longue date.

Divers membres du pouvoir avaient déclaré qu’il n’y avait pas assez d’enseignants ou d’argent, mais aussi que les écoles rouvriraient une fois qu’un programme d’enseignement islamique aurait été élaboré.  

Multiplication des interdictions

En plus d’être privées d’étudier, les femmes sont également bannies de la plupart des emplois publics ou payées une misère pour rester à la maison.  

Elles n’ont pas le droit non plus de voyager sans être accompagnées d’un parent masculin et doivent se couvrir d’une burqa ou d’un hijab lorsqu’elles sortent de chez elles.

En novembre, les talibans leur ont également interdit d’entrer dans les parcs, jardins, salles de sport et bains publics.

Les manifestations de femmes sont devenues risquées. De nombreuses manifestantes ont été arrêtées et les journalistes sont de plus en plus empêchés de couvrir ces rassemblements.  

La communauté internationale a lié la reconnaissance du régime taliban et l’aide humanitaire ainsi que financière, dont l’Afghanistan a absolument besoin, au respect par les talibans des droits humains, en particulier ceux des femmes à être éduquées et à travailler.

Mercredi Washington a condamné « dans les termes les plus forts » l’interdiction, tandis que le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, s’est dit « profondément alarmé », selon son porte-parole.  

Berlin a indiqué pour sa part qu’il allait saisir le G7 de cette question et souligné qu’avec cette mesure les talibans « ont décidé de détruire l’avenir de leur propre pays ».