En plus de conquérir de nouvelles régions de l'Irak et de la Syrie, le groupe de djihadistes appelé l'État islamique tente maintenant de déstabiliser le Liban. Le Conseil de sécurité de l'ONU a appelé hier les Irakiens à s'unir pour combattre le groupe. Au Liban, tous se rallient derrière l'armée face à un ennemi commun. Mais cette alliance apparaît fragile. Qui freinera l'État islamique? Autopsie de la menace en quatre questions.

Qui est l'État islamique?

L'État islamique désigne à la fois le groupe de djihadistes radicaux qui sèment la terreur en Irak et en Syrie et le territoire qu'ils contrôlent, à cheval entre ces deux pays. Ce «califat», non reconnu par la communauté internationale, est dirigé par l'un des terroristes les plus recherchés de la planète, Abou Bakr al-Baghdadi. Pour Houchang Hassan-Yari, professeur de sciences politiques au Collège militaire royal du Canada, ce groupe fait presque passer le Hezbollah ou Al-Qaïda pour des enfants de choeur. «S'ils ne sont pas arrêtés immédiatement, on verra des atrocités énormes, des génocides», dit-il. M. Hassan-Yari s'inquiète du fait que ce groupe a réussi à connecter des territoires en Irak et en Syrie et qu'il soit maintenant au Liban. «Dans leur tentative de propager leur vision de la charia, tous les obstacles doivent tomber. Si ces obstacles sont des États, ils doivent tomber eux aussi.»

Le Liban est-il réellement menacé?

Selon Sami Aoun, professeur à l'Université de Sherbrooke et directeur de l'Observatoire sur le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord de la chaire Raoul-Dandurand, la percée de l'État islamique au Liban semble avoir été refoulée pour l'instant. «Il y a une prise de conscience chez tous les Libanais, musulmans et chrétiens, que le feu qui brûle l'Irak et la Syrie devrait s'arrêter aux frontières libanaises, sinon c'est l'autodestruction. On a compris que ce radicalisme pourrait faire imploser le Liban de façon désastreuse et irréversible.» Face à l'ennemi commun, des groupes qui ne sont pas des alliés naturels se sont donc ralliés derrière l'armée, perçue comme le défenseur par excellence du pays. Mais cette alliance est fragile, signale M. Aoun. «L'alliance entre sunnites et chiites pourrait éclater à tout moment, le risque d'une forte tension est toujours présent au Liban.»

L'Irak pourra-t-il freiner l'État islamique?

Le Conseil de sécurité des Nations unies a appelé hier tous les Irakiens à faire preuve d'unité face à la menace croissante de l'État islamique dans le pays. Cet appel sera-t-il entendu? Déjà, l'armée irakienne et les forces kurdes, qui sont loin d'être des alliés naturels, ont uni leurs forces pour combattre l'État islamique. Selon Sami Aoun, c'est la minorité sunnite en Irak qu'on doit surveiller et qui est «prise entre deux diables». Entre deux maux, les sunnites devraient choisir le moindre pour eux, croit-il. «Au départ, l'État islamique a eu une certaine légitimité, puisqu'il était perçu comme pouvant faire contrepoids au rival iranien, d'allégeance chiite. Mais il a perdu cette légitimité en raison de son radicalisme. Aujourd'hui, les sunnites ne voient pas de justification pour les horreurs que l'État islamique commet sur le terrain.» Pour Samir Saul, professeur d'histoire à l'Université de Montréal, la menace ne devrait pas prendre trop d'ampleur en Irak. «Mais tout cela est à prendre très au sérieux. Le démantèlement de l'Irak est un danger réel.»

L'Irak, la Syrie, le Liban... Faut-il s'inquiéter pour tout le Proche-Orient?

Selon Samir Saul, il y a une tentative évidente de l'État islamique de provoquer des guerres civiles dans toute la région. «On cherche à provoquer des conflits sur des bases confessionnelles afin de démanteler des États. C'est une affaire concertée dans ces pays. Ce qui se passe en ce moment, ce sont des tentatives de créer le chaos.» Le principal problème, selon lui, c'est que ce groupe terroriste est aussi «instrumentalisé» par des pays comme l'Arabie saoudite. «Du moment qu'ils ont l'appui d'un autre État, ils deviennent très dangereux.» Pour Houchang Hassan-Yari, la menace est «extrêmement sérieuse». «Ils ne vont pas se limiter aux pays musulmans si on ne les arrête pas. Ils visent un territoire aussi vaste que la planète.» Mais selon lui, la communauté internationale ne voudra pas laisser le Liban tomber lui aussi en partie aux mains de l'État islamique.



Trois villes attaquées par l'État islamique

Aarsal

Un cessez-le-feu est intervenu hier dans la ville d'Aarsal, dans l'est du Liban. Selon l'AFP, deux cheiks salafistes ont annoncé avoir obtenu le retrait, dans les 24 heures, de tous les djihadistes à Aarsal. Sauf que d'autres sources affirment que les membres de l'État islamique n'ont pas quitté la ville. « Les djihadistes du Front al-Nosra ont quitté la ville, mais ceux de l'État islamique sont toujours présents », a indiqué un magistrat de la ville à l'AFP.

Mossoul

À Mossoul, dans le nord de l'Irak, des milliers d'Irakiens chrétiens ont dû fuir à nouveau hier lorsque des djihadistes ont attaqué trois villages où ils s'étaient réfugiés. Ils avaient fui Mossoul le mois dernier après que des militants de l'État islamique ont pris le contrôle de la ville.

Erbil

Des forces kurdes ont attaqué hier des combattants de l'État islamique dans la région d'Erbil, dans le nord de l'Irak. Les autorités irakiennes ont annoncé avoir changé de tactique et décidé de passer à l'attaque pour freiner les avancées des djihadistes dans le nord du pays. L'initiative survient après que les forces kurdes ont subi une défaite importante dans la région, ce qui a conduit le premier ministre irakien à ordonner des frappes aériennes.