Les efforts de Kaboul pour amener les talibans à négocier la paix entrent dans une nouvelle phase mardi avec la première visite de médiateurs afghans à Islamabad, signe que le rôle clé du Pakistan dans ce dossier est désormais reconnu.

Une délégation du Haut conseil pour la paix (HPC), créé l'été dernier par le président afghan Hamid Karzaï pour tenter d'amorcer des discussions avec les rebelles, arrivera mardi au Pakistan pour trois jours.

La délégation du HPC, menée par son président, l'ex-chef de l'Etat afghan Burhanuddin Rabbani, s'entretiendra notamment avec le président Asif Ali Zardari.

Islambad s'est dit «impatient» d'entamer ces pourparlers et disposé à «aider» Kaboul à pacifier son pays.

Cette visite marque «le début» d'un processus pour que les deux pays trouvent une «solution commune», a estimé le chef adjoint du HPC, Ataullah Ludin.

Le changement est notable: ces dernières années, Kaboul comme Washington soulignaient au contraire le rôle déstabilisateur du Pakistan en Afghanistan, notamment par sa réticence à trop intervenir dans ses zones tribales frontalières de l'Afghanistan, base arrière des talibans.

Mais si les Américains continuent d'insister sur ce dernier point, ils admettent désormais que le Pakistan a un «un rôle légitime à jouer» dans la réconciliation afghane.

Officiellement, le commandement taliban en exil, politiquement en position de force au vu de la progression de ses combattants, au contraire des Occidentaux qui parlent de retrait d'ici à fin 2014, reste opposé à toute discussion tant qu'il restera un soldat étranger en Afghanistan.

Mais il a en sous-main «envoyé des signaux indiquant qu'il était prêt à négocier», ont écrit une soixantaine d'experts internationaux de l'Afghanistan dans une lettre ouverte demandant au président Barack Obama de négocier directement la paix avec les talibans.

Les tentatives isolées de Kaboul se sont avérées inefficaces cet automne lorsque le «très haut responsable taliban» avec lequel le gouvernement se croyait en contact s'est révélé être un imposteur.

L'une des pistes les plus sérieuses du gouvernement afghan s'est évanouie en février avec l'arrestation au Pakistan d'Abdul Ghani Baradar, présenté comme un bras droit du mollah Omar, chef suprême des talibans.

Un tournant, selon plusieurs experts, révélateur du rôle central revendiqué dans le dossier afghan par le Pakistan, à la fois refuge du commandement taliban et parrain historique de plusieurs composantes de la rébellion afghane (réseau Haqqani, Hezb-e-Islami).

«En arrêtant Baradar, disposé à discuter indépendamment au nom des talibans, le Pakistan a signifié à tout le monde que rien ne pourrait se faire sans lui», explique le chercheur français Gilles Dorronsoro (Fondation Carnegie).

Islamabad ne s'en cache d'ailleurs plus. «Les négociations échoueront si le Pakistan en est exclu», avait prévenu en octobre le Premier ministre Yousuf Raza Gilani.

Et vu la faiblesse de Kaboul, «les Etats-Unis doivent eux aussi s'impliquer directement», estime Gilles Dorronsoro.

Or rallier les Pakistanais suppose notamment la prise en compte de leur première préoccupation en Afghanistan: l'influence grandissante exercée par l'Inde, leur ennemi de toujours, dont les intérêts dans le pays ont plusieurs fois été visés par des attentats attribués au réseau Haqqani.

Le puissant chef d'état-major pakistanais, Ashfaq Kayani, s'en est ému cet automne auprès du président Obama, selon l'armée pakistanaise.

Il lui a également conseillé d'assouplir ses positions, en ne demandant par exemple plus aux talibans de renoncer à la violence avant les négociations.

Mais tout assouplissement de la «guerre au terrorisme» peut s'avérer risqué pour M. Obama en vue de la présidentielle de 2012. «Cette échéance risque d'être un vrai problème», souligne Gilles Dorronsoro.