(Zaandam et Bois-le-Duc, Pays-Bas) Avec son déambulateur, Clasquin Evert, 87 ans, s’approche d’un enclos où picorent quatre poules. Les yeux rieurs, il les regarde quelques minutes avant de se diriger vers l’abri des lapins juste à côté. Trois grosses bêtes sautillent près d’immenses plants de romarin et de thym.

Comme chaque après-midi, M. Evert est venu faire un petit tour dans le jardin situé sur le toit de la résidence Pennemes. Environ 500 aînés habitent ce complexe d’habitation de Zaandam, municipalité néerlandaise située à une quinzaine de kilomètres d’Amsterdam.

La résidence Pennemes se trouve dans l’un des quartiers ayant le plus fort taux de criminalité du pays. « Malgré tout, on veut donner un accès privilégié aux résidants à la nature », affirme Rutger de Graaf, conseiller en innovation de l’établissement.

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Hank Kolbergk, Jacob Spaander et Clasquin Evert. C’est avec l’aide des résidants que le jardinier entretient le jardin sur le toit.

D’où l’idée de créer un jardin sécurisé sur le toit. Le jardinier Jacob Spaander est engagé pour s’occuper du lieu avec les résidants.

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Le jardinier offre à Clasquin Evert un gobelet de vers pour qu’il puisse nourrir les poules. Activité qu’adore l’octogénaire.

Le jour du passage de La Presse, il donne à M. Evert un pot rempli de vers. « M. Evert aime beaucoup nourrir les poules. Mais il leur donne parfois du pain et ce n’est pas bon. Alors je lui fournis la bonne nourriture », explique M. Spaander.

Le jardinier offre du café soluble aux résidants qui viennent le voir.

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Jacob Spaander, jardinier à la résidence Pennemes

On en profite pour discuter. Ça brise la solitude. Aussi, c’est connu que les plantes et l’extérieur, ça fait du bien.

Jacob Spaander, jardinier à la résidence Pennemes

Des OSBL en compétition

Aux Pays-Bas, la majorité des soins aux aînés sont offerts par un vaste réseau de 2350 entreprises à but non lucratif disséminées aux quatre coins du pays. Chacun de ces organismes reçoit son financement du gouvernement ou d’assureurs. Dans bien des cas, comme à la résidence Pennemes, les OSBL gèrent des logements pour aînés autonomes, mais aussi des lits de CHSLD, en plus d’avoir la responsabilité d’offrir des soins à domicile sur un territoire donné. « On s’occupe de tout, jusqu’au décès », note M. de Graaf.

Ce dernier explique que chaque personne en perte d’autonomie doit se faire évaluer par un médecin qui remplit une grille pour déterminer les services qu’elle peut recevoir. « La personne peut ensuite contacter les différentes entreprises qui offrent des soins dans sa région, dit M. de Graaf. Tout le monde peut choisir. »

Aux Pays-Bas, le fait d’avoir une très grande variété d’OSBL qui offrent des soins aux aînés fait que chacune peut développer sa couleur et adapter ses pratiques à sa réalité, indique Philippe Voyer, professeur à la faculté des sciences infirmières de l’Université Laval. « Ça permet de diversifier l’offre », dit-il.

Il vaut mieux vivre heureux que longtemps

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La cour extérieure de la résidence Pennemes et sa végétation luxuriante

La résidence Pennemes mise par exemple sur la nature et les animaux. En plus du jardin sur le toit, une cour extérieure remplie d’arbres et de plantes permet à une dizaine de poules de déambuler librement au rez-de-chaussée. Une volière accueille plusieurs oiseaux colorés. Les résidants ont le mandat d’entretenir les lieux et de nourrir les animaux. Si certains sont efficaces, d’autres travaillent plus lentement. Mais le personnel est patient. « On accepte que certains travaux progressent doucement, dit M. de Graaf. On ne fait presque rien à leur place. Autrement, quel serait le but ? »

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Une poule soie circule librement dans la cour.

Les poules sont des animaux thérapeutiques et peuvent être caressées. Les résidants peuvent aussi posséder leur propre animal de compagnie. « C’est connu que les animaux sont l’un des ingrédients pour lutter contre la solitude », dit M. de Graaf.

Un projet de « garderie pour chiens » a aussi été lancé. Les citoyens du quartier sont invités à déposer leurs chiens entre 9 h et 17 h la semaine. Durant la journée, des résidants ont le mandat de promener les bêtes et de s’en occuper. « C’est un échange de bons procédés. Ça permet de briser la frontière entre la ville et la résidence et aux résidants de se sentir utiles », illustre M. de Graaf, qui souligne que le programme remporte un franc succès.

L’autre mantra qui guide les actions du centre Pennemes est le fait qu’« il vaut mieux vivre heureux que longtemps ».

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Rutger de Graaf, conseiller en innovation à la résidence Pennemes

On demande aux résidants atteints de démence de faire du jardinage. Ils utilisent des outils. On leur demande de cuisiner avec nous. Ils manient des couteaux. On accepte ce risque parce que ça les rend heureux.

Rutger de Graaf, conseiller en innovation à la résidence Pennemes

Des employés aux profils variés

M. de Graaf explique que si les organisations de soins étaient autrefois en compétition pour attirer les résidants aux Pays-Bas, ce n’est plus tout à fait le cas. La population vieillit rapidement et beaucoup d’établissements ont maintenant des listes d’attente. Malgré tout, plusieurs continuent d’innover pour se démarquer.

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Cour intérieure de la résidence Wij zijn Zuiderschans

Avant d’ouvrir l’an dernier, le centre Wij zijn Zuiderschans de la chic municipalité de Bois-le-Duc, dans le sud du pays, a lancé un appel de candidatures afin de pourvoir 60 postes. La moitié ont été pourvus par des travailleurs de la santé, l’autre moitié par des gens ayant d’autres qualifications. Garagistes, boulangers, employés de restaurant : des centaines de personnes ont postulé pour travailler dans la vaste résidence. « Ce qu’on recherchait, c’était des compétences sociales », explique Eric van der Hulst, administrateur de l’établissement.

La résidence Wij zijn Zuiderschans en chiffres

44 lits de CHSLD

83 appartements pour personnes âgées autonomes (12 résidants y reçoivent des soins à domicile)

25 personnes recevant des soins à domicile dans le quartier

Une formation poussée a été donnée à l’interne, notamment sur « l’approche sociale de la démence » de l’établissement. Plusieurs de ces employés peuvent aujourd’hui donner des bains, nourrir certains résidants en lourde perte d’autonomie et même donner des médicaments. Le groupe Van Neynsel, qui chapeaute l’établissement, affirme ne pas voir plus d’incidents ou d’erreurs de la part de ces travailleurs. Des employés formés en santé sont d’ailleurs toujours présents sur place.

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Parmi les 60 employés que compte la résidence, une trentaine sont étrangers au secteur de la santé et ont été embauchés sur la base de leurs « compétences sociales ».

Les infirmières ont une description de tâches très variée. En soins à domicile, elles vont changer des pansements, donner des soins, mais aussi faire un peu de ménage. L’objectif : qu’une seule personne puisse offrir une grande variété de services aux aînés en soins à domicile, explique Ina Snier, administratrice du projet d’approche sociale au groupe Van Neynsel.

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À Wij zijn Zuiderschans, on met tout en œuvre afin d’éviter l’isolement des aînés qui y résident, notamment en invitant au centre de jeunes parents du voisinage et leurs enfants.

À Wij zijn Zuiderschans, 10 volontaires de différents âges habitent aussi le complexe et ont comme mandat d’aider les résidants. « Ils peuvent aller faire l’épicerie de certains. Les accompagner chez le coiffeur. Certains donnent des petits cours sur l’utilisation de la technologie… », énumère Mme Snier.

Tant à Wij zijn Zuiderschans qu’à Pennemes, on tente le mieux possible d’abaisser les barrières entre la communauté et les résidences pour aînés. À Wij zijn Zuiderschans, on ne trouve par exemple aucun coiffeur sur place. « On préfère accompagner les gens chez la coiffeur où ils sont allés toute leur vie, illustre M. van der Hulst. Pourquoi on vous isolerait ici ? Il faut maintenir les liens avec la communauté. »