Vestige du colonialisme français, la devise monétaire ouest-africaine est de nouveau au cœur de l’actualité…

  • Nom : Franc CFA
  • Âge : 79 ans
  • Fonction : Devise monétaire
  • Mots clés : Afrique de l’Ouest, décolonisation, souveraineté, France

Pourquoi on en parle

Le 24 mars dernier, le Sénégal a écrit un nouveau chapitre de son histoire en portant au pouvoir le plus jeune président de son histoire : Bassirou Diomaye Faye, 44 ans. Pendant la campagne, ce candidat « antisystème » et souverainiste a notamment prôné la disparition du franc CFA, devise monétaire controversée considérée par beaucoup comme un vestige colonial de la France. Le franc CFA (pour Communauté financière africaine) est actuellement utilisé par huit pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), qui comprend le Sénégal, le Mali, le Burkina Faso, le Niger, la Côte d’Ivoire, le Togo, le Bénin et la Guinée-Bissau. Le franc CFA est aussi utilisé par six pays d’Afrique centrale dans une union monétaire distincte, où les débats autour du franc CFA sont moins intenses.

PHOTO ABDOU KARIM NDOYE, REUTERS

Le nouveau président du Sénégal, Bassirou Diomaye Faye

Une hostilité grandissante

Ce n’est pas d’hier que le franc CFA suscite la critique. Des intellectuels africains dénoncent son existence depuis les années 1960. Mais la montée d’un sentiment hostile à la politique française en Afrique de l’Ouest, notamment au sein d’une nouvelle génération plus audible et plus virale, a accentué l’impopularité de la devise. En 2017, le militant panafricaniste Kemi Seba avait brûlé un billet de 5000 francs CFA en direct, ce qui lui avait valu un procès. Plus récemment, le Mali, le Burkina Faso et le Niger, gouvernés par des régimes militaires qui ont tourné le dos à Paris, ont eux aussi évoqué une sortie du franc CFA. L’élection d’un président souverainiste au Sénégal, poids lourd de la région, « a fait monter la tension d’un cran », estime l’économiste Martial Ze Belinga, auteur du livre Sortir l’Afrique de la servitude monétaire – À qui profite le franc CFA ?

Des critiques justifiées

Créé en 1945 pour faciliter les échanges commerciaux entre Paris et ses colonies africaines, le franc CFA est considéré, à juste titre, comme un vestige de l’impérialisme français. Ses critiques y voient un outil de domination postcoloniale et d’ailleurs, les billets sont toujours imprimés dans l’Hexagone. Sa parité, arrimée à un euro fort qui pénalise les exportations, est fréquemment visée par ses détracteurs. Jusqu’en 2019, les pays concernés devaient en outre déposer la moitié de leurs réserves de change à la Banque de France, posant d’évidentes questions de souveraineté économique. En Afrique, beaucoup accusent ce système de servir les intérêts de la France et de freiner l’autonomie de l’UEMOA.

Des avantages, tout de même ?

Abus de pouvoir pour les uns, le franc CFA est considéré par d’autres comme un outil de développement. Du fait de son arrimage à l’euro, la devise est moins fluctuante et assure aux pays qui l’utilisent une forme de stabilité sur ce plan. Les défenseurs du franc CFA craignent ainsi qu’une nouvelle monnaie régionale ne soit source de désordre et que les pays concernés n’aient pas les reins assez solides pour maintenir sa valeur. Selon Martial Ze Belinga, ce danger serait toutefois « surestimé et même assez absurde en réalité ». L’économiste fait valoir que le Sénégal est actuellement en 170position sur 190 selon l’indice de développement humain de l’ONU, preuve que le franc CFA ne garantit pas la croissance : « Si réellement il y avait autant d’avantages, le niveau de développement de ces pays-là serait supérieur. On voit bien que les pays du CFA ne sont pas économiquement mieux lotis que les autres. Pourquoi avoir un dispositif cryptocolonial qui finalement ne nous protège pas tant que ça ? »

L’eco, un jour ?

En 2019, les 15 pays de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (la CEDEAO, qui regroupe les huit pays de l’UEMOA, plus sept autres États, dont le Nigeria) ont annoncé pour 2027 le lancement d’une nouvelle monnaie commune (l’eco) qui remplacerait entre autres le franc CFA. Pour que le projet se concrétise, il faudrait toutefois que les pays concernés répondent aux « critères de convergence » établis par la CEDEAO (déficit limité à 3 % du PIB, inflation à 10 % maximum, dette inférieure à 70 % du PIB), et ce, pendant au moins trois ans. Aux dernières nouvelles, cet ambitieux projet avait été repoussé aux calendes grecques. Le nouveau gouvernement sénégalais a laissé entendre qu’il pourrait faire cavalier seul si le projet d’eco tardait à se concrétiser, bien qu’aucun plan en ce sens n’ait été clairement énoncé.

Économique et symbolique

Martial Ze Belinga convient que sortir du franc CFA est plus facile à dire qu’à faire. Mais il estime que les anciennes colonies françaises d’Afrique de l’Ouest devront faire le pas dans un avenir pas trop éloigné, si elles souhaitent s’affranchir symboliquement et économiquement de Paris. « La souveraineté précède le décollage économique, conclut l’économiste. Regardez les pays émergents : aucun n’a d’accord monétaire de type franc CFA, ces pays ont tous eu des monnaies qui pouvaient leur permettre de mener des politiques de développement de l’offre et de privilégier leurs industries naissantes… La sortie du CFA s’inscrit dans une nouvelle ère de politique économique panafricaine, alternative et holistique. Mais cela demande une vraie rupture avec l’ensemble des dispositifs qui paraissent reproduire du colonial… »

Avec l’Agence France-Presse, RFI, Jeune Afrique, France Culture, TV5 Monde, Connectionivoirienne. net