(Stockholm) « Je me souviens d’une comptine. Ça vous dit quelque chose ? Elle parlait des parties intimes. Vous savez, le dessin animé de pénis… », décrit Vilgot.

L’adolescent n’a pas besoin d’en dire plus. Autour de la table, ses camarades de classe éclatent d’un rire nerveux.

Évidemment qu’ils s’en souviennent.

« Comment s’appelait-elle, déjà ? », demande Maja, au visage poupin. « Ça fait longtemps. Je devais avoir 5 ou 6 ans… Elle jouait aussi à la télévision, non ? », renchérit Malte, blond cendré au teint clair.

En quelques clics, Vilgot retrouve la chanson sur YouTube. « C’est ça ! Snoppen och Snippan ! », s’exclame en suédois l’adolescent, ses joues virant au rouge.

Traduction libre : Zizi et Zézette. À l’écran, un pénis coiffé d’un chapeau et une vulve aux longs cils recourbés dansent sur une mélodie joyeuse. (D’ailleurs, la vidéo, qui date d’il y a une dizaine d’années, avait été critiquée non pas pour son contenu explicite, mais pour ses représentations stéréotypées.)

« Ils sont si différents, et pourtant si semblables ! », chantent les deux protagonistes de la vidéo, vue plus de 10 millions de fois.

La scène se déroule dans un local de l’école secondaire Ekens, petite bâtisse perchée au sommet d’un bois, dans le sud de Stockholm.

Répondant à une question de notre journaliste, quatre élèves, tous âgés de 15 ans, se remémorent en gloussant leur premier souvenir d’éducation sexuelle.

La Suède est régulièrement citée parmi les pays ayant le meilleur programme d’éducation sexuelle au monde… qui est obligatoire dès le primaire depuis 1955 !

PHOTO LÉA CARRIER, LA PRESSE

Auli Arvola Orlander, chercheuse à la faculté des sciences de l’éducation à l’Université de Stockholm

« Je dirais qu’il y a une affirmation que les humains sont des êtres sexuels », souligne Auli Arvola Orlander, chercheuse à l’Université de Stockholm.

Le soir s’installe tranquillement sur le campus, un grand terrain gazonné, traversé par des allées de dalles et des étudiants pressés. Le pire de l’hiver est derrière, les journées commencent à allonger.

Dès le XIXe siècle

En Suède, les premières leçons d’éducation sexuelle documentées remontent à la fin du XIXe siècle.

Elles étaient données par Karolina Widerström, première femme à obtenir son diplôme de médecine au pays, qui a publié à la même époque un manuel illustré traitant de la santé sexuelle des femmes.

Même l’Association suédoise pour l’éducation sexuelle existe depuis près d’un siècle. Aujourd’hui, elle compte près d’une centaine d’employés et une vingtaine d’antennes dans le pays.

« La Suède a une longue histoire en matière d’éducation sexuelle », note Mme Orlander. Et elle transparaît, encore aujourd’hui.

Dans la population, il y a consensus. On sait l’éducation sexuelle importante, cruciale même. On lui reconnaît des bienfaits, et dès le plus jeune âge.

« Les enfants sont toujours amoureux de quelqu’un ! Les sentiments, les relations font aussi partie de l’éducation sexuelle », fait valoir Mme Orlander.

« Je me sentais préparée »

En Suède, l’éducation sexuelle est considérée comme une matière transdisciplinaire, c’est-à-dire qu’elle est la responsabilité de tous les enseignants.

Elle ne relève pas seulement du professeur de sciences ou de l’infirmière de l’école, comme c’est souvent le cas.

« Elle est intégrée dans toutes les matières », explique Teresa Fernández Long, directrice de l’éducation à l’Agence nationale suédoise pour l’éducation.

Des exemples ? Lire un roman centré autour d’une relation homosexuelle en langue seconde. Calculer la prévalence de maladies transmissibles sexuellement en maths. Ou encore étudier les lois suédoises régissant les relations en éducation civique.

Dès le primaire, « les écoles ont la responsabilité de veiller à ce que les élèves discutent de manière répétée des questions relatives à la sexualité, au consentement et aux relations au cours de leur scolarité », précise le curriculum.

Ce modèle a été choisi pour diverses raisons. D’abord, parce que l’on considère que l’éducation sexuelle touche toutes les sphères de la société et doit être enseignée selon ses nombreuses perspectives.

Mais aussi parce qu’il assure que tous les élèves aient accès à l’éducation sexuelle, et ce, même dans les cas où les parents s’y opposent.

Si vous n’avez qu’une seule leçon, il est facile de l’éviter. Ici, l’éducation sexuelle est intégrée à l’éducation. Elle revient sans cesse, sous différentes formes.

Teresa Fernández Long, directrice de l’éducation à l’Agence nationale suédoise pour l’éducation

« Tout le monde va passer par là »

De retour à l’école secondaire Ekens. Du couloir, le silence laisse place à des rires haut perchés, indiquant l’heure de la pause.

« Je me sentais préparée à ce que j’allais traverser », confie Sonja au sujet de la puberté. Ses camarades de classe opinent de la tête.

Eux aussi sont satisfaits de leur éducation sexuelle. Même qu’ils n’y changeraient rien.

À leur école, un semestre complet de cinq semaines est consacré à l’amour et à la sexualité pendant le grade 8 (l’équivalent de la 2e secondaire).

Durant cette période, les profs de toutes les matières doivent aborder ces thèmes d’une manière ou d’une autre.

L’année précédente, les élèves ont bénéficié d’une heure toutes les deux semaines avec la conseillère pédagogique pour discuter de tout ce qui a trait à l’adolescence, y compris la sexualité. Les questions liées aux diversités sexuelles et de genre sont aussi abordées.

« Ici, il y a une grande ouverture par rapport à la sexualité. Peut-être parce que nous en parlons à l’école dès un jeune âge », avance Maja.

Ses camarades savent que c’est loin d’être pareil partout.

Qu’ailleurs, l’éducation sexuelle se résume souvent à enseigner aux jeunes à mettre un condom. Qu’une comptine sur les parties génitales passerait mal. Ou ne passerait tout simplement pas.

Et c’est bien dommage, estime Malte.

« La puberté, la sexualité… Tout le monde va passer par là. C’est important d’en parler », croit l’adolescent.

« Et de comprendre que tout le monde est différent et n’a pas la même sexualité ou identité », ajoute Vilgot.

Des améliorations possibles

Tout n’est pas parfait pour autant. « Il y a toujours des choses qui peuvent être améliorées », concède Auli Arvola Orlander.

Plusieurs intervenants observent que ce ne sont pas tous les enseignants qui font l’effort d’intégrer l’éducation sexuelle à leur matière.

De plus, ils sont nombreux à ne pas se sentir suffisamment outillés pour animer ces discussions délicates en classe. Mais cela devrait changer.

Depuis peu, tous les futurs enseignants doivent être formés en matière d’éducation sexuelle durant leur parcours universitaire. Seuls les enseignants de l’école intermédiaire (8 à 12 ans) y étaient auparavant formés.

« On s’est battus pour cela pendant des années ! », se réjouit Hans Olsson, conseiller principal à l’Association suédoise pour l’éducation sexuelle.

« C’était absurde d’avoir une matière obligatoire, mais pas de formation obligatoire », fait-il valoir.

En Suède, le taux de grossesse durant l’adolescence est presque nul. La prévalence des maladies transmissibles sexuellement est en baisse depuis des décennies.

Mais ce n’est pas ce qui importe le plus aux yeux de Hans Olsson.

L’éducation sexuelle n’est pas seulement la prévention de risques. C’est aussi la promotion d’un « bien-être » sexuel, tel que le souligne le curriculum.

Et c’est ce que tendent à démontrer les sondages.

Lorsqu’on interroge les jeunes sur leurs premiers rapports sexuels, ils répondent généralement qu’ils l’ont fait parce qu’ils le voulaient, qu’ils étaient sobres et qu’ils étaient plutôt satisfaits.

Hans Olsson, conseiller principal à l’Association suédoise pour l’éducation sexuelle

Les enseignants rapportent aussi que l’éducation sexuelle contribue à améliorer l’atmosphère en classe. « Il semble que les élèves se comprennent mieux et se respectent davantage », explique M. Olsson.

« Avec l’éducation sexuelle, les jeunes se responsabilisent. Ils disposent des outils pour choisir. Ils reconnaissent quand leurs limites sont violées. Ils savent prendre soin d’eux-mêmes », conclut-il.

Veiller à la santé sexuelle des jeunes

La Suède compte 300 cliniques pour jeunes réparties sur son territoire, qui compte une population similaire à celle du Québec. Destinées aux 13 à 25 ans, ces cliniques offrent des services de contraception, de dépistage ou encore de consultation dans l’objectif de veiller à la santé sexuelle des jeunes. Financées en majorité par les municipalités, elles peuvent aussi conseiller les jeunes sur leurs problèmes liés à la sexualité, à la santé et aux relations interpersonnelles.

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La Suède se classe au 5e rang du plus récent classement sur l’égalité des sexes du Forum économique mondial – l’Islande occupe la 1re place. Le Canada, lui, se classe au 30e rang.