Le premier ministre espagnol, Pedro Sanchez, qui avait obtenu l’année dernière l’appui d’une formation indépendantiste catalane pour se maintenir au pouvoir, voit son gouvernement fragilisé par le projet d’amnistie sur lequel reposait l’entente.

Les sept députés de Junts Per Catalunya (Ensemble pour la Catalogne) ont voté fin janvier contre le texte soumis pour formaliser cet engagement, privant le leader du Parti socialiste des voix requises pour le faire entériner.

Les élus ont indiqué que le projet de loi ne permettait pas de garantir que les leaders indépendantistes échapperont à toute poursuite en lien avec leur rôle dans la tenue d’un référendum d’autodétermination tenu en 2017 malgré l’opposition de Madrid.

Joan Ramon Resina, professeur à l’Université Stanford qui suit de près les développements politiques en Espagne, note que le différend entre les alliés du gouvernement porte sur le refus de M. Sanchez de retirer un passage excluant toute protection pour les crimes de terrorisme.

Des juges conservateurs, note l’analyste, ont déjà affiché leur intention d’utiliser l’exception en question pour continuer à cibler les dirigeants indépendantistes mis en cause après le référendum, incluant Carles Puigdemont, qui était alors président de la Catalogne.

Les magistrats tentent notamment d’utiliser une notion élargie de terrorisme pour s’en prendre au politicien, qui vit en exil en Belgique. Il se voit notamment reprocher son rôle dans la paralysie de l’aéroport de Barcelone par un groupe de manifestants.

La droite opposée à l’amnistie

Les élus indépendantistes catalans avaient prévenu à plusieurs reprises M. Sanchez, avant le vote sur le projet d’amnistie, que l’exception pour terrorisme ne permettrait pas de protéger à 100 % Carles Puigdemont contre les poursuites, « mais il a refusé de modifier la loi », note Joan Ramon Resina.

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L’ancien président de la Catalogne en exil, Carles Puigdemont, en 2021

La question est maintenant de savoir si la formation du premier ministre et Junts Per Catalunya réussiront à s’entendre sur un compromis avant que le texte ne soit de nouveau soumis au Parlement, à la fin du mois.

Le Parti populaire (PP), formation de droite traditionnelle, et Vox, issu de la droite radicale, s’opposent depuis des semaines à la loi d’amnistie et accusent le premier ministre d’avoir « humilié le pays » en acceptant de se plier aux demandes des indépendantistes catalans.

M. Sanchez assure de son côté que l’alliance était nécessaire pour empêcher la formation d’un gouvernement de droite incluant Vox et favorisera, à terme, des relations apaisées avec la Catalogne.

Bien que le dirigeant du PP, Alberto Núñez Feijóo, ait critiqué le projet d’amnistie à plusieurs reprises, des médias espagnols ont rapporté au cours de la fin de semaine qu’il se serait montré ouvert à une telle initiative lors de discussions informelles avec le parti de Carles Puigdemont.

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Le chef du Parti populaire espagnol, Alberto Núñez Feijóo, en janvier dernier

La formation de droite a précisé lundi qu’aucune amnistie inconditionnelle n’avait été envisagée et que l’ex-dirigeant catalan devrait a minima accepter d’être jugé, d’exprimer des regrets pour ses actions passées et de renoncer à l’indépendance pour bénéficier d’un pardon.

Cette position contrevient à celle qui est défendue par la formation en Galice, où une élection régionale est prévue dimanche.

Compromis

Sebastiaan Faber, professeur d’études hispaniques à l’Oberlin College, en Ohio, note que le Parti socialiste y « est démonisé » en raison de son association avec les indépendantistes catalans.

L’analyste note qu’il est probable que le PP ait eu des ouvertures envers Junts Per Catalunya en matière d’amnistie lors des pourparlers qui ont suivi les élections de l’été 2023.

M. Feijoo avait tenté à deux reprises de former un gouvernement sans obtenir le nombre de voix requises avant que Pedro Sanchez ne soit invité à tenter le coup et réussisse à s’assurer une majorité de quelques voix.

Le PP sait très bien qu’il ne peut pas continuer à s’aliéner les partis indépendantistes en Catalogne ou encore au Pays basque s’il veut avoir une chance de former éventuellement un gouvernement.

Sebastiaan Faber, professeur d’études hispaniques à l’Oberlin College

Un compromis entre le Parti socialiste et les indépendantistes catalans sur le projet d’amnistie ne réglera pas tout, puisque l’inclusion d’une protection contre les accusations de terrorisme rendrait « très difficile » son approbation par la Cour suprême espagnole, note Cesareo Rodriguez Aguilera de Prat, professeur de politique à l’Université de Barcelone.

« C’est une erreur qui a soulevé des critiques même dans le camp indépendantiste », note l’analyste, qui s’attend à ce que Junts Per Catalunya approuve la loi d’amnistie à la fin du mois après avoir tenté d’obtenir le maximum du gouvernement.

« Je suis très curieux de voir comment tout ça va finir », relève M. Resina, qui s’alarme de l’influence que les juges ciblant les dirigeants indépendantistes catalans ont sur la situation politique actuelle.

« Ça n’augure rien de bon pour la démocratie espagnole », dit-il.

L’histoire jusqu’ici

2017

Les dirigeants de la Catalogne ont organisé, malgré les protestations de Madrid, un référendum d’autodétermination suivi par une déclaration d’indépendance. Le processus a été déclaré invalide par le gouvernement central.

2019

Plusieurs dirigeants indépendantistes ont été condamnés à de lourdes peines d’emprisonnement pour « sédition ». Carles Puigdemont, qui était président de la Catalogne, s’est exilé en Belgique et a échappé aux autorités espagnoles.

Été 2023

Après les élections, le Parti socialiste a entrepris des négociations avec les élus indépendantistes de Junts Per Catalunya, le parti de M. Puigdemont, pour obtenir les voix qui manquaient pour former un gouvernement. L’accord prévoyait l’adoption d’une loi d’amnistie qui tarde à se matérialiser en raison d’un différend sur sa portée.