En réaction aux émeutes qui secouaient la France, le président Emmanuel Macron a évoqué mardi la possibilité de restreindre l’accès aux réseaux sociaux pour calmer la crise. Est-ce possible ? Est-ce souhaitable ? Questions et réponses avec trois experts.

Qu’a dit le gouvernement français à ce sujet ?

Emmanuel Macron a soulevé l’idée de « couper » les réseaux sociaux lors d’une allocution devant près de 300 maires de communes touchées par les émeutes, mardi dernier.

PHOTO LUDOVIC MARIN, ARCHIVES REUTERS

Emmanuel Macron, président de la République française

Comme ses opposants politiques ont vivement (et mal) réagi, le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, a rapidement été invité à clarifier les propos du président. M. Véran a plutôt parlé de « suspendre des fonctionnalités », et non pas d’un « black-out généralisé » des réseaux sociaux, mercredi. La géolocalisation, qui permet aux émeutiers de se retrouver pour former des foules plus importantes, est le principal outil visé.

Quel est le rôle des réseaux sociaux dans ces émeutes ?

Sans être la seule et unique cause des émeutes, les réseaux sociaux ont certainement contribué à leur propagation extrêmement rapide à travers le pays, en raison de leur énorme capacité de mobilisation. « Les émeutes sont sorties des cités et des quartiers populaires pour parfois se rendre dans les grandes et moins grandes villes de France », note David Morin, professeur de l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke. « Mais il ne faudrait pas que la réflexion sur le rôle de l’internet serve à évacuer les causes profondes de la révolte, qui sont des causes beaucoup plus structurelles, comme la colère ou le sentiment d’injustice », souligne-t-il.

Il y avait déjà des émeutes avant les réseaux sociaux. L’existence de ces derniers change-t-elle quelque chose ?

En comparaison avec les émeutes de 2005, les plus récentes de ce genre en France, c’est le profil qu’affichent certains émeutiers qui diffère. « Ils sont de plus en plus jeunes. On a vu des mineurs de 16-17 ans », rapporte Marc Chevrier, professeur du département de science politique de l’UQAM.

Est-ce vraiment possible de restreindre l’accès aux réseaux sociaux ?

Technologiquement, ça peut se faire assez facilement. L’obstacle réside plutôt dans la dimension politique de la démarche. « Je vois mal comment le gouvernement peut arriver à les bannir complètement », opine en ce sens Marc Chevrier. « Je serais assez étonné que ce genre de décision passe le test constitutionnel à la Cour européenne [des droits de l’homme] », ajoute David Morin.

Qu’est-ce qui a été fait avant d’en arriver à cette proposition ?

Les ministères de l’Intérieur et de la Justice ont déjà fait retirer des milliers de contenus illicites et suspendu des centaines de comptes reliés aux émeutes par les directions de Twitter, TikTok, Facebook, Instagram et Snapchat. Leurs demandes sont prises très au sérieux – et traitées rapidement. En mai, un projet de loi pour « sécuriser et réguler l’espace numérique » a également été présenté au Parlement français.

Quels seraient les impacts d’une restriction totale de l’accès aux réseaux sociaux ?

« C’est délicat, pense Bruno Guglielminetti, animateur de l’émission balado d’actualité numérique Mon Carnet. On crée une atteinte à la démocratie, à l’information, on réduit les droits de citoyens qui n’ont rien à voir avec le conflit. Et ce ne serait pas intelligent pour les services de renseignement, parce qu’ils perdraient une mine d’or de savoir : qui parle à qui, et qui organise quoi. » « Ça donnerait cours à toutes sortes de théories, et ça risquerait en plus d’altérer davantage le lien de confiance entre les citoyens et le gouvernement, ajoute David Morin. C’est une avenue que je ne recommanderais pas. »

On avait déjà vu ça auparavant ?

« Chine, Russie, Turquie, Iran, Bangladesh… on dit souvent que seules des dictatures font appel à ça », commente M. Guglielminetti. En France, ça n’a jamais été fait. Il existe cependant une exception notable provenant d’un pays occidental : pendant le référendum sur l’indépendance de la Catalogne en 2017, le gouvernement espagnol avait coupé l’accès à certaines fonctionnalités de Snapchat.

Une situation similaire pourrait-elle se produire au Québec ?

À deux reprises au cours des derniers jours, des Montréalais ont voulu organiser des manifestations visant à imiter celles de la France, soit au Centre Eaton et aux Galeries d’Anjou. Les réseaux sociaux ont permis aux policiers de repérer et de déjouer facilement ces tentatives. « Ici, un projet de loi devrait être déposé à l’automne concernant la modération de contenus nuisibles sur les réseaux sociaux, ajoute David Morin. Mais son champ d’application serait beaucoup plus restreint. Ça s’appliquerait dans des cas d’apologie du terrorisme et de la violence, ou de discours haineux, par exemple. »

Avec l’Agence France-Presse