Vladimir Poutine vient-il d’échapper à une tentative de coup d’État ? C’est la question que beaucoup se posent après la rébellion avortée du groupe paramilitaire Wagner, en Russie. Explications avec un spécialiste des conflits armés.

Qu’est-ce qu’un coup d’État ?

C’est une prise du pouvoir brutale par un groupe appartenant à l’élite d’un régime. Généralement, il est mené par des militaires au sein de l’armée. Dans le scénario classique, les putschistes saisissent les installations centrales du pouvoir et placent le reste de l’armée devant le fait accompli, explique Theodore McLauchlin, professeur agrégé au département de science politique de l’Université de Montréal et spécialiste des conflits armés. Typiquement, les coups d’État s’effectuent rapidement, souvent en l’espace d’à peine quelques heures. « L’élément de surprise est crucial parce que si les plans sont dévoilés hâtivement, il est possible pour le régime d’agir contre les putschistes avant que le complot ne puisse être mené à terme », explique M. McLauchlin.

Cela ressemble à ce qui s’est passé en Russie, non ?

Il est vrai que la rébellion lancée vendredi par le groupe paramilitaire Wagner peut s’y apparenter. Si l’organisation ne fait pas partie de l’armée russe, elle est très proche du pouvoir. « Le groupe Wagner est un bras de l’État russe à plusieurs égards », rappelle M. McLauchlin. Or, la situation se distingue aussi d’un putsch classique. « Dès le départ, il n’y a pas eu de tentative de prendre le pouvoir à Moscou », souligne-t-il. Les troupes de mercenaires de Wagner ont réussi à s’approcher à environ 400 kilomètres de la capitale, avant de s’arrêter et de faire volte-face. Par ailleurs, le chef de Wagner, Evguéni Prigojine, n’a jamais annoncé qu’il avait l’intention de s’emparer du pouvoir. Il s’en est plutôt pris au ministre de la Défense, Sergueï Choïgou, et au chef d’état-major, Valéri Guérassimov, les accusant d’avoir ordonné des attaques contre ses combattants. « Je suis sceptique. Je ne vois pas là-dedans un coup d’État », soutient le spécialiste.

Il n’est pas le seul qui hésite à qualifier la rébellion de putsch. « Prigojine a clairement indiqué à plusieurs reprises qu’il souhaitait défier le ministre de la Défense, et non Vladimir Poutine. C’est pourquoi il a pris Rostov-sur-le-Don [centre clé de l’assaut russe contre l’Ukraine] au lieu d’attaquer le Kremlin », a indiqué sur Twitter le politologue américain Naunihal Singh, auteur d’un ouvrage sur les coups d’État.

D’accord. Imaginons maintenant que le groupe Wagner effectue une vraie tentative de coup d’État. Quelles sont les conditions essentielles pour un putsch réussi ?

Il y en a plusieurs. Plus tôt, nous avons évoqué l’élément de surprise. C’est particulièrement important dans les régimes qui ont déjà été marqués par des coups d’État. « Dans ces cas-là, tout le monde s’observe », souligne Theodore McLauchlin, qui est aussi directeur du Centre d’études sur la paix et la sécurité internationale. De plus, les putschistes doivent profiter d’un appui important au sein du régime militaire. En particulier, ils doivent compter dans leur équipe des officiers de haut rang, qui ont un large réseau. Ainsi, les rebelles s’assurent de pouvoir agir rapidement et de manière coordonnée. La pire éventualité, c’est qu’ils rencontrent une forme de résistance au sein de l’armée. Les putschistes doivent à tout prix placer leurs opposants devant le fait accompli. C’est la raison pour laquelle, avant l’apparition des réseaux sociaux, ils s’emparaient rapidement des stations de télévision et de radio afin d’annoncer leur prise de pouvoir. « Ils voulaient démobiliser ceux qui auraient pu résister. Avec les réseaux sociaux, c’est beaucoup plus difficile. Il y a plus de messages conflictuels », note M. McLauchlin.

Qu’en est-il du régime ? Un régime affaibli est-il plus susceptible d’être renversé ?

Pas nécessairement, mais cela augmente certainement ses chances d’être la cible d’une tentative de coup d’État. Les premiers signes de faiblesse peuvent être une crise économique qui fait mal paraître le régime ou de mauvais résultats aux dernières élections. « On a aussi vu des coups d’État en plein milieu d’une guerre », ajoute Theodore McLauchlin. Le putsch de 2012 au Mali en est un exemple bien connu. Le pays était alors plongé dans une guerre civile. Ce qui a débuté comme une « mutinerie par des soldats mécontents de leurs conditions dans l’armée » s’est terminé en coup d’État. « Une guerre qui se passe mal met beaucoup de pression sur les forces militaires », souligne-t-il.

Et le groupe Wagner remplit-il ces conditions ?

« Je ne connais pas son réseau au sein de l’armée russe, mais il semble qu’il soit quand même limité, surtout en ce qui concerne les officiers de haut rang », répond Theodore McLauchlin. Pour réussir, il lui faudrait un appui beaucoup plus important au sein du régime militaire. Cela dit, les troupes d’Evguéni Prigojine sont capables de manœuvrer rapidement, comme elles l’ont démontré vendredi. « Je ne connais pas ses objectifs et ils peuvent être en train d’évoluer », reconnaît M. McLauchlin. Mais une chose est sûre. « Personne ne sait comment ça va se terminer », conclut le spécialiste.

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