Secoué par le score de son parti aux élections régionales, le premier ministre espagnol Pedro Sanchez vient de convoquer des législatives anticipées pour le mois de juillet. Son audace paiera-t-elle ?

Secoué ? Vous commencez fort. C’est à ce point ?

On peut le dire. Le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) vient de mordre la poussière aux élections régionales et municipales. La formation contrôlait 10 communautés autonomes sur 17, elle n’en possède plus que 3. Au niveau municipal, elle vient de perdre Cadix et surtout Barcelone, au profit du très conservateur Parti populaire (PP) qui reprend 7 régions. Les experts n’hésitent pas à parler d’une « catastrophe » pour les socialistes.

Comment expliquer cette claque ?

Sanchez n’a pas trop mal fait comme premier ministre depuis 2018. Il a augmenté le salaire minimum, géré la crise de la COVID-19 et maintenu les prix du gaz à un niveau acceptable malgré la guerre en Ukraine. Mais il fait face à l’usure du pouvoir, au défi de l’inflation et aux crises répétées de sa coalition « Frankenstein », surnommée ainsi en raison de ses alliances improbables avec des partis indépendantistes, basques ou catalans. Cette défaite correspond aussi à la déroute des partis d’extrême gauche (dont Podemos) avec lesquels il aurait pu s’allier pour gouverner.

D’où ces élections législatives anticipées ?

En effet. Dès le lendemain du scrutin, M. Sanchez a annoncé sa décision de « dissoudre le gouvernement et de procéder à la convocation d’élections générales » le 23 juillet prochain, alors qu’elles devaient initialement se tenir à la fin de l’année. Ce faisant, il espère renverser la vapeur et obtenir un nouveau mandat avant que ses adversaires n’aient le temps de s’organiser.

C’est un pari risqué ?

Au vu du score de la semaine dernière, on peut le dire. Mais ce fin renard n’en est pas à son premier coup de poker. « Sa spécialité a toujours été le quitte ou double. Il n’est jamais meilleur que quand il est dans une espèce de semi-équilibre. C’est une manœuvre qui a surpris tout le monde, mais c’est du pur Sanchez », résume Carole Vinals, maîtresse de conférence en civilisation espagnole à l’Université de Lille.

Et comment compte-t-il remobiliser son électorat en moins de deux mois ?

En agitant l’épouvantail de l’extrême droite, pardi ! Le chef socialiste a confirmé mercredi qu’il ferait du parti Vox la cible principale de sa campagne, dans l’espoir d’alerter les électeurs progressistes et de discréditer son adversaire principal, le PP, dirigé par Alberto Nuñez Feijóo.

PHOTO THOMAS COEX, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Le chef du Parti populaire, Alberto Nuñez Feijóo

Mais… quel lien entre le parti Vox et le Parti populaire ?

Il y a en Espagne une longue tradition de coalitions politiques. Or, le PP pourrait avoir besoin de ce parti d’extrême droite s’il espère gouverner. C’est déjà le cas en Castille-et-León depuis 2022, et beaucoup craignent de voir cette alliance se propager à d’autres régions, voire au gouvernement central à Madrid, si le PP venait à l’emporter en juillet prochain. Vox a du poids. C’est la troisième force politique du pays (24 sièges au Parlement) et il vient de doubler son score des dernières élections municipales et régionales.

Du poids, certes. Mais « extrême droite », vraiment ?

Un peu, oui. Fondé en 2013 par des radicaux du PP, Vox est un parti traditionnel catholique nationaliste. Son leader, Santiago Abascal, est contre l’immigration. Contre l’Union européenne. Climatosceptique. Contre le mariage homosexuel, contre la loi transgenre, contre les cours d’éducation sexuelle et, bien sûr, contre l’avortement. En Castille-et-León, où il dirige avec le PP, son parti a demandé il y a quelques mois que les médecins fassent entendre le cœur du fœtus aux femmes désirant une interruption de grossesse (proposition non retenue, finalement). Bref, on est loin des photos de chats de Marine Le Pen.

PHOTO SUSANA VERA, REUTERS

Le chef du parti d’extrême droite Vox, Santiago Abascal5 ws5/1dx

Comment expliquer l’ascension d’un parti aussi radical ?

La société espagnole a beaucoup évolué depuis la mort de Franco. Mais l’héritage du dictateur est encore très présent, souligne Carole Vinals. « Il n’y a pas eu en Espagne, comme en Allemagne, un enseignement de ce qui s’est vraiment passé sous le franquisme, déplore-t-elle. Beaucoup d’Espagnols pensent que Franco était un saint et qu’il a sauvé l’Espagne du communisme… » Le discours de Vox résonne donc… et peut-être encore plus alors que l’Europe poursuit son virage à droite.

Quel danger si le PP remporte les prochaines législatives ?

C’est toute la question. La droite populaire s’allierait-elle avec l’extrême droite populiste ? Si oui, au prix de quels compromis ? De quels sacrifices ? De quels reculs pour la société espagnole ? C’est en tout cas la menace brandie par Pedro Sanchez.

Et le 23 juillet ? Drôle de date, non ? Tout le monde sera à la plage !

C’est l’autre pari de Pedro. Mais il paraît que les demandes de vote par courrier ont explosé. Comme on dit, l’un n’empêche pas l’autre…