Quarante-trois ans après un attentat antisémite commis à Paris, le docteur en sociologie canado-libanais Hassan Diab a été condamné vendredi à la réclusion criminelle à perpétuité.

C’était le procès d’un homme sans visage. Sans Hassan Diab, accusé d’avoir posé une bombe sur une moto garée devant une synagogue parisienne, rue Copernic, le 3 octobre 1980. L’attentat avait fait quatre morts et des dizaines de blessés.

En son absence, les juges ont tenté de savoir : le sociologue canado-libanais est-il l’homme aperçu par des témoins ? A-t-il utilisé l’alias Alexander Panadriyu ? Ou est-il innocent, comme il ne cesse de le clamer ? Pour l’accusation, « son absence nous [imposait] de demander la plus haute peine ». Son avocat MWilliam Bourdon, craignant une « erreur judiciaire », a plaidé l’acquittement.

Vendredi, la cour a reconnu Hassan Diab coupable et l’a condamné à la réclusion criminelle à perpétuité. Un mandat d’arrêt a été délivré contre lui. Il pourra faire appel de cette décision pendant 10 jours, dès que la justice lui aura remis le jugement. La France n’a pas formulé de demande d’extradition pour le moment.

Le premier ministre Justin Trudeau a assuré vendredi qu’il « pren[ait] très au sérieux l’importance de protéger les citoyens canadiens et de respecter tous leurs droits ».

« Nous espérions que la raison l’emporterait », a déclaré Hassan Diab devant la presse à Ottawa, parlant d’un moment « difficile » et d’une situation « kafkaïenne ».

PHOTO LARS HAGBERG, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Hassan Diab

« Un Libanais connu sous le nom d’emprunt d’AMER »

Hassan Diab n’était pas un suspect évident. Les renseignements allemands ont d’abord dit que le poseur de bombe était « un Libanais connu sous le nom d’emprunt d’AMER, mais qui se nomme en réalité HASSAN ». Cet homme ferait partie du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP).

Mais, en 1980, « la DST [Direction de la sécurité du territoire] n’avait pas d’information propre sur les gens qui avaient commandité cette attaque », a admis Louis Caprioli, à la barre. Dix-huit ans après, cet ex-agent du renseignement écrira une note qui mettra les enquêteurs sur la piste d’Hassan Diab.

En 1999, la DST apprend qu’un membre du FPLP a été arrêté, en octobre 1981, à Rome. Il détenait plusieurs passeports, dont celui d’Hassan Diab, né en 1953 à Beyrouth. Il constitue l’une des pièces maîtresses de l’accusation. Pourquoi ce document s’est-il trouvé lié à l’organisation soupçonnée d’avoir commandité l’attentat de la rue Copernic ?

En 2007, Philippe Chicheil, agent de la DST, essaiera « de localiser et d’identifier tous les membres du réseau dont les noms étaient cités dans la note de 1999 ». « Un homme sortait du lot car c’était le maillon faible sur le plan judiciaire : Hassan Diab. »

La vie du professeur naturalisé canadien bascule en octobre 2007. Le journaliste du Figaro Jean Chichizola apprend le nom et l’adresse du poseur de bombe potentiel de l’attentat de la rue Copernic. Il s’envole pour Ottawa pour l’interviewer. « Je trouve qu’il ressemble très fortement à un portrait-robot qui a été fait 27 ans plus tôt, sauf la moustache », se dit le journaliste.

Le juge Marc Trévidic instruit alors le dossier. Il entend de nouveaux témoins, creuse de nouvelles pistes, fait arrêter Hassan Diab et demande son extradition. Pendant six ans, il doit apporter des éléments pour soutenir sa demande. En 2011, alors que le juge canadien Robert Maranger estime « le dossier faible » et « la perspective d’une condamnation peu probable », l’extradition est accordée.

Matériellement, le dossier ne tient alors pas à grand-chose. Les pièces à conviction ont été détruites. Sur les deux papiers restants de l’époque, touchés par Alexander Panadriyu, aucune empreinte d’Hassan Diab. « Cela ne constitue pas un élément à décharge », a estimé la cour.

Trois éléments jouent contre lui. On lui prête une amitié avec des membres avérés du FPLP. Mais « aucun des témoins interrogés ne les implique dans Copernic », souligne Jean-Marc Herbaut, juge d’instruction à partir de 2015. Une fiche d’hôtel signée par Panadriyu est également centrale. Des experts, français et canadiens, ont comparé l’écriture d’Hassan Diab avec celle de la note. Quand certains estiment que ce sont les mêmes, d’autres doutent.

Rentré au Canada

La découverte italienne du passeport d’Hassan Diab en 1981 est censée tout dire. On y trouve un visa pour l’Espagne utilisé entre le 20 septembre et le 7 octobre 1980. Hassan Diab soutient s’être fait voler ce passeport, mais un doute subsiste sur la date.

Avril 1981 ou septembre 1980 ? Pour le disculper de l’attentat, cela devrait avoir eu lieu en septembre, ce qu’il soutient. « Si on admet qu’il était le terroriste du FPLP, il a forcément appris que son passeport avait été saisi en octobre 1981. Je ne le vois pas déclarer un vol après l’attentat qu’il avait commis à Paris », a répété Jean-Marc Herbaut, qui avait analysé ce point avant de rendre un non-lieu en 2018.

Hassan Diab avait été libéré, était rentré chez lui. En 2021, la France avait décidé de le juger tout de même. « Cette thèse du passeport n’est pas crédible », a jugé la cour.

« Même si séparément chacune des charges peut paraître faible, l’ensemble convergent qu’elles forment en fait des éléments déterminants », a martelé l’avocat général. En guise d’alibi, Hassan Diab avance sa présence au Liban en octobre 1980. Aux juges, Nawal C., son ex-femme, a assuré : « Je suis partie de Beyrouth pour l’Angleterre le 28 septembre 1980, avec mon père. C’est Hassan qui nous a conduits à l’aéroport. »

Ce trajet daté et les examens universitaires qu’il assure avoir passés en octobre sont censés prouver ses dires. « C’est vrai qu’Hassan Diab est à quelques heures de vol de Paris. Il peut s’envoler le 3 octobre, faire son coup et puis retourner à Beyrouth, a détaillé Jean-Marc Herbaut. Mais admettre cette thèse, c’est admettre que le renseignement est faux, qu’il n’est pas passé par l’Espagne et que, donc, il n’existe aucun élément à charge contre lui. » La cour d’assises a pensé le contraire.

Avec l’Agence France-Presse