L’attitude des Américains et des Européens relativement à la guerre en Ukraine a convergé depuis un an, mais s’écarte sensiblement de celle des populations de la Chine, de l’Inde et de la Turquie, qui préfèrent une résolution rapide du conflit pouvant inclure au besoin des concessions territoriales à la Russie.

Un sondage à ce sujet mené par l’European Council on Foreign Relations (ECFR) indique par ailleurs que les citoyens de ces trois pays doutent des raisons invoquées par les gouvernements occidentaux pour justifier leur appui musclé à Kyiv et rejettent l’idée de désigner le régime russe comme un ennemi.

Ils sont également loin d’être convaincus de l’importance « centrale » du conflit ukrainien et de la nécessité d’adhérer au régime de sanctions instauré pour fragiliser Moscou, relève le directeur de l’organisation, Mark Leonard, dans une analyse accompagnant la sortie des résultats du sondage.

Près de 20 000 personnes réparties dans une quinzaine de pays, dont neuf membres de l’Union européenne (UE), les États-Unis, la Russie, la Chine et l’Inde, ont été consultées en décembre 2022 et en janvier 2023.

De nombreux répondants de l’UE et des États-Unis (34 % et 38 % respectivement) ont dit souhaiter que l’Ukraine puisse continuer de livrer bataille jusqu’à ce que les troupes russes aient été chassées de l’ensemble de son territoire. Une fraction moindre (30 % et 21 %) ont indiqué qu’ils préféraient que le conflit se termine le plus rapidement possible même si des concessions territoriales s’avéraient nécessaires.

À l’inverse, la part des répondants favorisant le second scénario plutôt que le premier était plus importante dans les pays non occidentaux considérés, soit 42 % contre 23 % en Chine, 48 % contre 27 % en Turquie et 54 % contre 30 % en Inde.

Plus de 65 % des répondants en Europe et aux États-Unis ont déclaré qu’ils considéraient la Russie comme un pays « rival » ou un « adversaire », alors que le résultat correspondant parmi les pays non occidentaux considérés demeurait inférieur à 30 %. En Inde, en Chine et en Turquie, une large majorité de répondants ont décrit Moscou comme un « allié » ou encore un « partenaire stratégique ».

Près de la moitié des répondants américains adhèrent à l’idée que les États-Unis soutiennent Kyiv pour défendre la démocratie ou l’intégrité territoriale ukrainienne contre 30 % dans les pays de l’UE consultés.

Le chiffre chute à 23 % en Chine et en Turquie, où une large majorité de répondants (65 %) pensent plutôt que la motivation première des États-Unis est de « protéger la domination américaine » ou d’assurer la sécurité de son propre territoire.

En Inde, plus partagée sur le sujet, 48 % des répondants ont dit croire aux justifications avancées par l’administration américaine. Seuls 15 % des Russes interrogés en ont dit autant.

Une vision divergente à long terme

Les analystes de l’ECFR ont relevé par ailleurs que les populations des pays occidentaux ont une vision différente de l’ordre géopolitique mondial susceptible d’émerger dans la prochaine décennie.

Alors qu’une fraction importante d’Européens et d’Américains s’attendent au retour d’un conflit entre deux blocs, menés par les États-Unis et la Chine, les répondants des autres pays considérés penchent pour l’émergence d’un monde multipolaire « dans lequel l’Occident ne sera qu’un pôle global parmi plusieurs ».

Il y a un écart croissant entre l’Occident et le reste de la planète quant à la manière dont les gens envisagent la guerre en Ukraine, mais aussi la manière dont ils voient le monde.

Mark Leonard, directeur de l’European Council on Foreign Relations

Serge Granger, spécialiste de l’Inde et de la Chine rattaché à l’Université de Sherbrooke, relève qu’il faut prendre garde de faire des projections quant à l’état d’esprit des populations non occidentales en se basant sur les résultats du sondage en question, qui considère un nombre restreint de pays aux caractéristiques particulières.

L’Inde, dit-il, est un pays ayant une longue tradition de non-alignement qui entretient depuis longtemps des liens économiques et militaires avec la Russie. Ses dirigeants ne peuvent se permettre de couper les ponts avec Moscou, qui assure aujourd’hui une part importante de son approvisionnement énergétique, souligne M. Granger.

La Chine, relève l’analyste, est alliée à la Russie et martèle à sa population que les États-Unis agissent en Ukraine pour favoriser leur propre pouvoir, ce qui alimente l’hostilité publique.

À interpréter avec prudence

L’ECFR note que les résultats du sondage obtenus en Chine et en Russie doivent être interprétés avec prudence en gardant en tête que les répondants peuvent s’être abstenus de livrer pleinement leur opinion par crainte de représailles.

Henri Barkey, spécialiste de la Turquie rattaché à l’Université Lehigh, en Pennsylvanie, note que le pays est membre de l’OTAN, mais qu’il entretient aussi des liens économiques et militaires avec la Russie. Ankara a croisé le fer avec les États-Unis sur plusieurs dossiers dans les dernières années.

La situation alimente la méfiance de la population envers Washington et ses actions, note M. Barkey, qui insiste aussi sur la représentativité limitée du sondage relativement aux pays non occidentaux.

Un vote survenu cette semaine aux Nations unies a donné un aperçu du soutien dont bénéficie l’Ukraine un an après le début de la guerre sur la scène internationale.

Plus de 140 pays, incluant la Turquie, ont voté pour une résolution réclamant le retrait immédiat et sans condition de toutes les troupes russes présentes sur son territoire. Sept pays ont voté contre et 32 se sont abstenus, dont la Chine et l’Inde.