Le 28 février, au cinquième jour de l’invasion de l’Ukraine, les troupes russes avancent par le nord, l’est et le sud. Plusieurs villes sont bombardées. Les civils fuient en masse. Et un menaçant convoi russe long de 64 km fonce sur Kyiv. Or, quelques jours plus tard, le convoi s’immobilise.
Engluée, mal organisée, l’armée russe subit de lourdes pertes, en vies humaines et en matériel. C’est un des premiers signes que les choses ne tournent pas rond chez le géant russe. Chez les experts et les analystes, c’est l’étonnement.
« Vladimir Poutine et son armée pensaient ne rencontrer aucune résistance, qu’ils étaient partis pour trois jours. Mais de la résistance, il y en a eu sans cesse, résume Dominique Arel, titulaire de la chaire d’études ukrainiennes à l’Université d’Ottawa. Et pas seulement à Kyiv. Les Russes n’ont pas été capables de faire tomber Tchernihiv, première ville à la frontière. Même chose avec Soumy, plus à l’est. »
« J’ai été surpris par l’échec de l’armée russe, dans tous ses aspects, observe John Tefft, ancien ambassadeur des États-Unis en Ukraine et en Russie et membre de la Rand Corporation, dans une rencontre en ligne pour les médias. Cet échec inclut les gens en haut de la hiérarchie. »
Au départ, les Ukrainiens, bien entraînés depuis la guerre de Crimée en 2014, ont employé des manœuvres de guérilla, note Dominique Arel.
Ils ont été très ingénieux. Ils ont dispersé leur flotte, caché leurs avions. Avec les rares armes reçues avant la guerre, tels les missiles antichars Javelin, ils ont ciblé des points faibles des Russes et les lignes d’approvisionnement, notamment en gazoline, ont été brisées.
Dominique Arel, titulaire de la chaire d’études ukrainiennes à l’Université d’Ottawa
En dépit de cette résistance, le président Volodymyr Zelensky multiplie les appels à la communauté internationale pour recevoir plus d’armes. Faible au départ, le flux va en augmentant. Dans la foulée, des pays, telle l’Allemagne, renforcent leur politique militaire. La Suède et la Finlande déposent leur demande d’adhésion à l’OTAN.
En somme, le conflit s’internationalise, directement et indirectement.
Vladimir Poutine a fait ce qu’il ne voulait pas : redonner une vie à l’OTAN.
Stéphane Roussel, professeur titulaire à l’École nationale d’administration publique
« [Le président russe] tablait sur le fait que l’OTAN avait été éclaboussée sous l’ère Trump et par sa sortie désastreuse de l’Afghanistan, ajoute le professeur Roussel. Son renforcement rapide et toutes les armes envoyées par les pays membres ont été une surprise. »
Par étapes
Des armes, l’Ukraine en a reçu beaucoup et de plusieurs pays.
Professeur de science politique à l’UQAM et codirecteur du Réseau d’analyse stratégique, Julien Massie observe que leur remise s’est moulée au rythme de la guerre.
« Depuis le 24 février 2022, le type d’armes livrées est allé en hausse constante, en quantité et en qualité, indique-t-il. Avant l’invasion, on donnait des armes de combat de rue : grenades, lance-grenades, gilets pare-balles, casques, etc. C’était limité. À mesure que la guerre a évolué, on a augmenté le soutien. »
Il donne en exemple les pièces d’artillerie « qui ont permis de mener la contre-offensive de l’automne et de libérer une partie du territoire ». Plus récemment, l’Ukraine a reçu des systèmes de défense antiaérienne pour protéger les villes, les civils et les installations énergétiques. Et maintenant, blindés et chars d’assaut convergent vers l’Ukraine.
En dépit de nombreux appels de Volodymyr Zelensky, le pays n’a toujours pas reçu d'avions de chasse et des missiles à longue portée. La Grande-Bretagne s’est toutefois engagée à donner de la formation aux pilotes ukrainiens.
Maîtriser le ciel
Cela rappelle que l’armée russe n’a pas été en mesure de maîtriser le ciel depuis le début de la guerre. Aux prises avec des pertes, ses avions ont été mis de côté. « De sorte que les pertes en aéronefs sont minimes », indique Dara Massicot, de la Rand Corporation.
Autrement dit, cette puissante force de frappe pourrait resurgir.
La crainte est que les Ukrainiens manquent de missiles et que l’armée de l’air russe ressorte.
Dominique Arel, titulaire de la chaire d’études ukrainiennes à l’Université d’Ottawa
Dans un sens, la question est de savoir si la production de matériel militaire va suivre la demande de l’Ukraine, estime Barry Pavel, vice-président de la division de la sécurité nationale de la Rand Corporation.
« La guerre industrielle devient très importante, dit-il. Est-ce que l’Occident pourra produire et fournir à l’Ukraine les armes dont elle a besoin plus rapidement que la Russie et ses alliés ? »
Ce texte a été modifié afin de préciser que l'article du New York Times a été publié le 2 février 2023 et non le 3 mars.
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- 200 000
- Dans un article publié le 2 février dernier, le New York Times estimait à près de 200 000 le nombre de soldats russes morts ou blessés. Cela, en compilant plusieurs analyses, mais en concédant aussi qu’il est difficile d’établir un chiffre exact.