Âge, parcours, personnalité, sens tactique, objectifs… On ne pourrait imaginer profils plus opposés que ceux de Vladimir Poutine et de Volodymyr Zelensky. Portraits croisés… et contrastés.

Âge

Vladimir Poutine : 70 ans

Volodymyr Zelensky : 45 ans

Parcours

Poutine : Agent du KGB (1975 à 1990), fonctionnaire à la mairie de Saint-Pétersbourg (1991-1995), haut fonctionnaire dans l’administration de Boris Eltsine (1995-1999), président de la Russie depuis 2000, avec une parenthèse comme chef de gouvernement, entre 2008 et 2012.

Zelensky : Bachelier en droit, comédien et acteur à la télé ukrainienne, où il se fait connaître en jouant le rôle du président ukrainien dans la série Serviteur du peuple. Président de l’Ukraine depuis 2019.

Il a dit

Poutine : « L’objectif [de cette opération militaire] est de protéger les personnes qui ont été victimes d’un génocide perpétré par le régime de Kyiv. Pour cela, nous nous efforcerons de démilitariser et de dénazifier l’Ukraine… » (23 février 2022)

Zelensky : « J’ai besoin de munitions, pas d’un chauffeur… », alors qu’il refuse d’être exfiltré du pays au début de la guerre (26 février 2022)

Il surprend par…

Poutine

Sa capacité à cacher la guerre aux Russes à coups de propagande, de répression et de contrôle des médias. Avec la mobilisation militaire, l’information est devenue toutefois plus difficile à dissimuler.

Zelensky

Sa bravoure. On pensait qu’il se sauverait en courant. Il est resté pour se battre et va même sur la ligne de front, sachant que les Russes cherchent à l’éliminer.

Son point fort

Poutine

Difficile à dire, considérant qu’il n’a pas atteint son objectif militaire, soit la conquête totale et rapide de l’Ukraine. Mais pour Yann Breault, professeur adjoint au Collège militaire royal de Saint-Jean, Poutine a au moins la capacité « de saisir les opportunités pour faire des gains à court terme ». En ce sens, dit-il, le dirigeant russe serait « plus tacticien que stratège ».

Zelensky 

Sa spectaculaire maîtrise de l’art de la communication. Le président ukrainien impressionne par sa capacité à toucher, non seulement le cœur des citoyens ukrainiens, mais aussi celui du public international. « Ce n’est pas seulement qu’il est capable de communiquer, c’est que la communication est sincère et authentique, souligne Dominic Arel, professeur à l’Université d’Ottawa et titulaire de la Chaire en études ukrainiennes. Il trouve les mots, il trouve la façon. » Pour Yann Brault, sa force est de « ne pas s’enfarger dans des structures grammaticales très complexes. Il s’exprime dans un ukrainien très simple, qui touche une corde sensible. Il fait corps avec l’émotion populaire ». Tout le contraire de Poutine, qui cultive une aura de tsar de plus en plus inaccessible.

Son point faible

Poutine

Un manque de vision claire. Son plan initial – prendre Kyiv en trois jours – n’a pas fonctionné. Mais quid de la suite ? « Son but est d’envahir la totalité de l’Ukraine, mais comment cela peut être accompli ? On ne sait pas. La tactique change tous les deux mois, il n’y a pas de grand plan », observe Maria Popova, politologue de l’Université McGill. Yann Breault précise que la relation de Poutine avec son armée « n’a jamais été empreinte de confiance », ce qui expliquerait en partie ses déboires stratégiques.

Zelensky

Un manque d’expérience sur le plan militaire. Imaginez : il y a encore quatre ans, l’homme jouait dans une série télé ! Mais il sait s’entourer et travailler en équipe. « L’armée ukrainienne a tout un attirail de conseillers militaires étrangers, dont le Canada, qui ont joué un rôle important dans la capacité des Ukrainiens à défendre le pays », souligne Dominic Arel.

Son meilleur coup

Poutine

Il est parvenu à garder son régime stable, en dépit des revers militaires et de l’opprobre international. L’économie russe ne s’est pas effondrée malgré le train de sanctions occidentales. Un exploit, note Yann Breault : « On a réussi à limiter les impacts. La résilience des Russes en a surpris plus d’un. Le premier ministre russe [Mikhaïl Michoustine] fait profil bas, mais il a été très efficace pour éviter l’effondrement de l’économie interne. Et Poutine a réussi à construire des alliances ou partenariats avec des puissances comme la Chine, comme l’Inde… »

Zelensky

La grande victoire des Ukrainiens reste la défense de Kyiv dans les premières semaines du conflit. Le plan de Poutine n’était pas dénué de bon sens, mais n’a fonctionné que sur le front sud. Pas sur le front nord. « La défense de Kyiv, la capacité de Zelensky à rester dans la capitale, c’est là que tout s’est joué. C’est une grande victoire pour lui. Je pense que ça va rester dans les livres d’histoire comme l’acte de naissance d’une vraie nation ukrainienne indépendante », affirme Yann Breault.

Son erreur

Poutine

Il a complètement sous-estimé la capacité de résistance des Ukrainiens. Leur désir de s’affranchir de la Russie. Si bien que la capitulation attendue en 72 heures n’a toujours pas eu lieu. « M. Poutine vit dans un monde alternatif, explique Dominic Arel. Sa décision de déclencher la guerre a été catastrophique sur presque tous les plans pour la Russie. Il l’a prise en faisant fi de la réalité qu’il avait devant lui. C’est-à-dire que non seulement l’Ukraine existe, mais qu’elle a aussi maintenant une armée, ce qui n’était pas le cas en 2014 [lors de l’invasion de la Crimée par les Russes]. » Son chantage énergétique avec l’Europe ne semble pas plus fonctionner, ajoute Maria Popova. « Il pensait que l’unité des Occidentaux s’effondrerait rapidement. Ce n’est pas arrivé. »

Zelensky

Difficile de lui trouver des fautes, vu les succès ukrainiens. Mais sa plus grande erreur est sans doute de ne pas avoir cru l’invraisemblable. « L’Ukraine n’était pas entièrement préparée à cette invasion, rappelle Dominic Arel. Jusqu’à la toute fin, Zelensky ne croyait pas que Poutine déclencherait une guerre tous azimuts pour aller détruire l’État ukrainien. Il a fait preuve d’un manque d’expérience en politique. » Yann Breault note par ailleurs que l’Ukraine est toujours aux prises avec des problèmes de corruption, qui se sont aggravés avec l’aide financière internationale. « Je pense que Zelensky est incapable, dans le contexte, de faire le ménage dans la gestion, la gouvernance », dit-il.

Son défi pour la prochaine année

Poutine

Pour lui, la priorité est de conserver le pouvoir. « Il est plus intéressé par la longévité de son régime que par quoi que ce soit d’autre », résume Maria Popova. Pour l’instant, la dynamique de la guerre joue contre lui. Des scissions apparaissent dans son entourage. Les victoires sur le terrain sont limitées et le front occidental demeure uni derrière une Ukraine plus résistante que prévu. Poutine voudra prolonger la guerre dans le temps et sécuriser les lignes de front existantes. Mais il doit gérer la capacité d’une armée russe très diminuée et mal équipée, malgré de nouvelles mobilisations. Sur le plan intérieur, il doit maintenir une situation économique acceptable pour sa population, ce qui passe entre autres par une solidification de son réseau d’alliances internationales qui lui permet de faire face aux sanctions.

Zelensky

Tenir, alors que le conflit semble vouloir se prolonger. Grâce à l’aide occidentale, l’armée ukrainienne se renouvelle toutefois avec des armes plus puissantes, ce qui n’est pas le cas chez les Russes. Ces moyens techniques pourraient permettre à l’Ukraine d’effectuer des avancées, voire d’infliger à la Russie des frappes plus profondes sur son territoire.

Jusqu’où est-il prêt à aller ?

Poutine

Malgré les menaces proférées par Poutine, l’emploi de l’arme nucléaire semble de moins en moins probable, même s’il n’est pas complètement exclu. « C’est un autocrate qui se soucie d’abord et surtout de sa survie au pouvoir, rappelle Maria Popova. L’emploi du nucléaire implique non seulement qu’il perdrait le pouvoir, mais aussi qu’il ne survivrait pas physiquement, parce que le monde entier serait détruit. Je ne pense qu’il ait cette pensée suicidaire. » Pour l’experte, la question est plutôt de savoir si Poutine acceptera de négocier, point à la ligne. « Ses objectifs pour l’Ukraine sont maximalistes. On voit mal où il peut faire des compromis. Cela dépendra de sa position sur le plan intérieur. Il ne sacrifiera pas son régime ou sa vie pour atteindre son but. »

Zelensky

Son objectif – immense – est d’arriver à un point où l’on peut dire que l’Ukraine a gagné la guerre. Où se situe ce point ? Telle est la question. Pour certains, ce serait la reconquête des territoires perdus depuis un an. Pour d’autres, c’est la reconquête de la Crimée, perdue en 2014. Le cas échéant, de sérieuses négociations sont à prévoir avec ses bailleurs de fonds occidentaux, qui redoutent une escalade pouvant mener à une troisième guerre mondiale. « Plus de 80 % de la société civile ukrainienne pense que la victoire signifie qu’il faut libérer chaque pouce du pays, souligne Maria Popova. Zelensky est un leader démocratique, il doit donc suivre l’opinion publique. Ce sera un défi pour lui, parce qu’il devra avoir tous les alliés derrière lui et ce n’est pas acquis. »