(Munich) La vice-présidente des États-Unis, Kamala Harris, a accusé pour la première fois la Russie d’avoir perpétré des « crimes contre l’humanité » depuis le début de son invasion de l’Ukraine il y a près d’un an, prévenant que les responsables devront « en rendre compte ».

Intervenant à la Conférence de Munich sur la sécurité, Mme Harris, une ancienne procureure, a fait une énumération glaçante des exactions attribuées à Moscou, citant les bombardements systématiques visant les civils et les infrastructures critiques, les tortures et les viols attribués aux soldats russes, les déportations d’Ukrainiens en Russie, notamment de milliers d’enfants séparés de leur famille.

« Nous avons examiné les preuves, nous connaissons les normes juridiques et il n’y a pas de doute : ce sont des crimes contre l’humanité », a-t-elle déclaré.

Depuis le début de l’invasion, les États-Unis ont documenté ou répertorié plus de 30 600 cas de crimes de guerre commis par les forces russes en Ukraine, précise le département d’État américain.

Le ministre des Affaires étrangères ukrainien, Dmytro Kouleba, a salué la position américaine et accusé de nouveau Moscou « de guerre génocidaire » en Ukraine, lors d’une conférence de presse en marge de la Conférence.

Il a dit toutefois craindre qu’il ne soit pas possible de réunir suffisamment de preuves pour poursuivre en justice « des individus précis » ayant commis « des atrocités ».

Kyiv a appelé à la mise en place d’un tribunal spécial pour juger les plus hauts responsables russes, mais sa forme exacte soulève des questions juridiques complexes.

Risques que « Poutine gagne »

Réunis à Munich en marge de la Conférence, les chefs de la diplomatie des grandes puissances du G7 ont réaffirmé parallèlement dans un communiqué leur « solidarité inébranlable avec l’Ukraine, aussi longtemps que nécessaire », près d’un an après le lancement de l’invasion russe le 24 février 2022.

Plus tôt, le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, avait mis en garde contre une défaite de l’Ukraine, alors que la Russie est en train de mobiliser « des centaines de milliers de troupes ».

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Le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg

« Le plus grand risque de tous est que Poutine gagne. Si Poutine gagne en Ukraine, le message pour lui et d’autres dirigeants autoritaires sera qu’ils peuvent utiliser la force pour obtenir ce qu’ils veulent », a-t-il averti.

Le président français, Emmanuel Macron, a certes réaffirmé qu’il désirait « la défaite » de Moscou, mais a mis en garde ceux qui veulent « avant tout écraser la Russie », ce qui ne sera « jamais » la « position de la France ».

Je suis convaincu qu’à la fin, ça ne se conclura pas militairement.

Emmanuel Macron, président de la République française

« Toutes les options autres que Vladimir Poutine au sein du système actuel » lui « paraissent pires » que le président russe, a-t-il ajouté.

La rencontre de Munich a également permis un entretien entre le chef de la diplomatie américaine Antony Blinken et son homologue chinois Wang Yi, au cours duquel le secrétaire d’État a mis en garde contre les « implications et les conséquences » pour la Chine s’il s’avérait qu’elle apporte un « soutien matériel » à la Russie dans sa guerre en Ukraine, selon le département d’État.

Auparavant, Kamala Harris avait fait savoir que son pays était « troublé par le fait que Pékin a approfondi ses relations avec Moscou depuis le début de la guerre ».

« Toute démarche de la Chine visant à fournir un soutien létal à la Russie ne ferait que récompenser l’agression, poursuivre les tueries et saper davantage un ordre fondé sur des règles », a prévenu la vice-présidente.

« Une issue politique »

Les Européens espèrent convaincre Pékin d’user de son influence sur le maître du Kremlin pour mettre fin à la guerre.

La Chine doit « jouer un rôle responsable » dans la situation actuelle, a jugé le premier ministre britannique Rishi Sunak.

Wang Yi a présenté son pays comme un champion de la « paix » et redit à Munich qu’il revenait à Moscou et à Kyiv de « s’asseoir autour de la table et [de] trouver » une issue « politique » au conflit.

Aucun signe d’apaisement n’est en vue dans le conflit qui a vu les troupes russes s’emparer de près du cinquième du territoire ukrainien et fait des dizaines de milliers de victimes dans les deux camps.

Samedi, l’armée russe a revendiqué la rare prise d’une localité dans la région de Kharkiv, dans le nord-est de l’Ukraine, où ses troupes sont passées à l’offensive depuis quelques semaines, en parallèle de ses offensives autour de Bakhmout et Vouhledar.

Le sentiment général, côté alliés et Ukrainiens, est que la guerre risque de se prolonger.

Il est essentiel de « redoubler d’efforts » dans le soutien militaire à Kyiv en accélérant la production d’armements standard, comme les munitions, dont Kyiv « a désespérément besoin », a estimé la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen.

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La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen

Les membres de l’UE étudient actuellement les moyens de procéder à des achats communs de munitions pour l’Ukraine, selon des sources diplomatiques à Bruxelles.

Les alliés soutiennent les Ukrainiens via des aides financières, humanitaires et militaires, y compris des chars lourds de fabrication occidentale même s’ils tardent à arriver sur le terrain, et via des sanctions économiques draconiennes envers la Russie.

La victoire de Kyiv, une « condition » pour démocratiser la Russie

Des opposants russes au régime de Vladmir Poutine ont jugé samedi qu’une victoire de l’Ukraine était la « condition », selon les termes de Garry Kasparov, d’une transition démocratique à Moscou.

Une victoire des troupes ukrainiennes est « la condition de la démocratie en Russie », a expliqué l’ancien champion du monde d’échecs et opposant à M. Poutine, en marge de la Conférence sur la sécurité de Munich.

M. Kasparov participait à une table ronde consacrée à l’« avenir démocratique » russe avec l’ex-oligarque déchu Mikhaïl Khodorkovski, Ianna Nemtsova, journaliste et fille de Boris Nemtsov, un opposant assassiné à Moscou en 2015, ainsi que l’historienne Irina Scherbakova, cofondatrice de l’ONG Memorial, Prix Nobel de la paix 2022.

« La libération du fascisme de Poutine passe par l’Ukraine. Les Russes vivent dans une bulle. Ça ne peut pas être brisé à moins que l’idée d’empire s’effondre, grâce à une défaite militaire », a martelé M. Kasparov, qui a quitté la Russie il y a une dizaine d’années.

Selon lui, « la guerre sera perdue quand ils auront conscience qu’ils perdent la guerre », et non en fonction de gains et pertes de territoires.

Il a ainsi appelé les Occidentaux à poursuivre leur aide : « aucune dépense n’est excessive pour l’Ukraine ».

« Ce qui est à craindre, c’est une désescalade » et que les alliés de Kyiv relâchent leurs efforts, a abondé M. Khodorkovski, emprisonné entre 2003 et 2013 après avoir été un des hommes les plus riches de Russie.

Mme Scherbakova, dont l’ONG Memorial, qui visait notamment à documenter les crimes du stalinisme, a été dissoute fin 2021, a dit elle aussi partager cette vision d’une victoire ukrainienne indispensable au changement démocratique.

« C’est une période tragique, c’est douloureux à entendre pour les Ukrainiens car ils payent de leur sang, mais […] pour aller dans la rue en Russie, il faut être très courageux », a-t-elle fait valoir.

Elle a mis en garde contre la « pure manipulation » en cours selon elle en Russie. « Il y a une réécriture de l’histoire », car les Russes ne « ressentent pas le besoin d’affronter les crimes commis dans le passé », à l’époque de l’URSS.

« Une des erreurs après la chute de l’URSS, c’est qu’il n’y a pas eu assez d’efforts pour expliquer aux gens ce que signifie la démocratie », a de son côté expliqué Mme Nemtsova.

« Pour un éventuel avenir démocratique russe, il faut parler à la société russe : la majorité d’entre eux sont neutres, ne s’intéressent pas à l’Ukraine, pensent qu’ils ne peuvent pas avoir d’influence, ils baissent donc les bras », a-t-elle décrit. « Notre plus grande mission est de les aider à réfléchir aux atrocités commises en Ukraine ».