Dans le sud-ouest de l’Espagne, le lithium, métal clé de la « transition écologique » dont le prix ne cesse de croître, suscite les convoitises. Mais les craintes sont nombreuses et l’opposition, déterminée.

Un doux soleil d’automne caresse la paisible Sierra de la Mosca et ses oliviers aux reflets or, répit bienvenu après les chaleurs records de l’été qui ont fait bouillonner ce coin d’Estrémadure, dans le sud-ouest de l’Espagne. Îlot de verdure au milieu d’immenses champs de céréales, cette montagne à la riche biodiversité est le « poumon vert » de Caceres, capitale de la province homonyme, qui se trouve à quelques encablures d’ici.

Les pieds dissimulés sous les herbes hautes jaunies par le rude soleil estival, Montaña Chaves, habitante de toujours de cette ville de 95 000 âmes, dit avec passion ce que « la montagne » représente : « C’est un endroit emblématique, ancré dans les gènes de la population cacereña. »

PHOTO AUGUSTIN CAMPOS, COLLABORATION SPÉCIALE

Montaña Chaves

Mais la quiétude de l’endroit, survolé par des aigles royaux, est précaire. Car ces collines renferment une ressource devenue précieuse à l’heure de la « transition écologique ». Autrefois ignoré, le lithium, métal très léger utilisé pour stocker l’énergie dans les batteries électriques, est désormais partout convoité. Du Québec – où une mine devrait ouvrir en 2025 à la Baie-James – à l’Europe (Portugal, Espagne, France, Allemagne, Serbie, République tchèque…) en passant par l’Amérique latine (Mexique, Bolivie, Argentine), les annonces de découvertes de nouveaux gisements se sont multipliées au cours des dernières années, sans pour autant se concrétiser dans la plupart des cas.

Le lithium, « d’intérêt général et stratégique »

En Estrémadure, région parmi les plus pauvres de l’Espagne, à moins de 5 km de Caceres, la multinationale australienne Infinity lithium, qui a créé la filiale locale Extremadura New Energies, compte creuser une mine d’ici 2025 pour y extraire 19 000 tonnes d’hydroxyde de lithium annuellement. La pression de l’Union européenne et du gouvernement espagnol pour la concrétisation de ce type de projet – afin de réduire la dépendance de l’Union européenne à la Chine, notamment – est telle que le gouvernement régional a promulgué début septembre un décret-loi qui décrit le lithium comme « d’intérêt général et stratégique », facilite son exploitation et garantit sa transformation en Estrémadure.

Dans la région, une « giga-usine » de batteries, une usine de cellules de batteries et une autre de cathodes sont en projet. À Caceres, d’après les plans de l’entreprise dévoilés fin septembre, la mine serait souterraine, après que le projet de mine à ciel ouvert à 2 km du centre-ville a suscité une large opposition, forçant la multinationale à y renoncer.

« Un joli conte aux habitants »

Mais la bataille est loin d’être terminée. Mi-novembre, près d’un millier de personnes se sont rassemblées à Caceres pour rappeler leur opposition au nouveau projet. Manolo Sanchez en était. Enracinés dans cette montagne depuis plus d’un siècle, à proximité de la vallée de Valdeflores sous laquelle sera creusé le tunnel de la mine, les murs blancs de sa maison, entourée de chênes-lièges, vacillent. Et pour cause, les camions chargés de minerais circuleraient à quelques centaines de mètres d’ici, entre l’entrée du tunnel de la mine – qui se trouverait à moins de 1,4 km dans deux des trois options proposées au gouvernement régional – et l’usine de transformation située à proximité.

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Manolo Sanchez

Une vingtaine de maisons se retrouveraient à quelques dizaines de mètres de ces nouveaux voisins encombrants. « Cette montagne et la vallée de Valdeflores, c’est ma vie, parce que j’ai grandi ici, il n’y a pas d’argent qui puisse me l’enlever », jure ce professeur à la retraite.

Il n’a réalisé l’ampleur du projet d’extraction de lithium que lorsqu’il a, dit-il, surpris « des hommes envoyés par l’entreprise en train d’ouvrir un chemin sur [son] terrain ». Puis lorsqu’un représentant de la mine lui « a demandé à qui appartenaient les terres alentour ».

Aujourd’hui, Ramon Jimenez Serrano, PDG d’Extremadura New Energies, tente de rassurer la population : « Nous n’allons pas toucher à la superficie de la montagne ni à aucune maison, car nous serons à 40 mètres en dessous du point le plus bas de la vallée. » La société vante le fait que son parc de camions sera électrique. Et précise, à propos de l’orifice du tunnel qui se retrouverait à 4,5 km du centre historique de Caceres, classé à l’UNESCO : « Il n’y aura pas de poussière, pas de bruit, pas de vibrations, ce sont des points très importants. »

Difficile, pourtant, d’imaginer pareille quiétude dans la sierra une fois la mine en marche, tout électrique que soit son parc de camions. « L’entreprise minière raconte un joli conte aux habitants », dénonce Santiago Marquez, porte-parole de la plateforme d’opposition à la mine Salvemos la montaña.

Quelque 700 emplois directs en phase de production et 2100 indirects sont évoqués par l’entreprise. C’est l’argument phare pour ceux qui défendent le projet, dont le maire, dans cette ville vieillissante.

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Affairé à récolter ses tomates anciennes, Lorenzo Erce n’a que l’eau du ruisseau qui longe ses cultures pour le faire vivre dans cette région sèche une bonne partie de l’année.

Inquiétudes pour l’eau

Dans la ville, l’eau aussi est source de préoccupation. Dépourvu de fleuve, Caceres connaît depuis des décennies des problèmes d’approvisionnement. Or, l’eau est aussi et surtout la ressource clé pour l’extraction du lithium. Le PDG Ramon Jimenez Serrano promet un procédé « nouveau » de traitement « en cours de brevetage », sans acide sulfurique – utilisé pour traiter le lithium de roche –, qui permet de réutiliser l’eau « à l’infini ».

Mais outre la quantité d’eau nécessaire, les inquiétudes touchent à la préservation du calerizo, cette nappe d’eau phréatique sous la ville.

Au pied du centre historique de Caceres, affairé à récolter ses tomates anciennes, Lorenzo Erce n’a que l’eau du ruisseau qui longe ses cultures pour le faire vivre dans cette région sèche une bonne partie de l’année. « Le cours d’eau a le même débit toute l’année, c’est exceptionnel, mais avec la mine, il pourrait s’assécher », craint-il. « Il va falloir arrêter de croître, car on est en train de bousiller notre planète », dit-il, désabusé, en référence à ladite « transition écologique ».

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Située à 40 km de Caceres, la mine de Las Navas devrait voir le jour.

À 40 km de Caceres, une autre mine de lithium, dont le projet est plus avancé, devrait voir le jour. Peu importe la provenance de l’eau, les milliers de chênes rasés, le corridor écologique au cœur duquel elle se trouve, au cœur de l’Espana vacia (l’Espagne vide, victime de l’exode rural), la plupart des habitants y sont favorables, « tant que cela apporte du travail et de la vie ». Pour 25 ans. Une fois le gisement épuisé, personne ne sait ce qu’il en restera.