Le torchon brûle de nouveau entre Londres et Édimbourg. Et cela pourrait une fois encore se terminer devant les tribunaux.

Le gouvernement britannique a confirmé mardi son intention de bloquer le Gender Recognition Reform Bill, projet de loi adopté fin décembre par le Parlement écossais visant à faciliter le changement de genre pour les personnes trans.

C’est la première fois que Londres appose son veto sur une loi écossaise depuis que l’Écosse possède son propre Parlement, en 1999. Ce précédent historique ne plaît pas du tout à la première ministre de l’Écosse, l’indépendantiste Nicola Sturgeon, qui a déjà annoncé vouloir porter l’affaire en cour.

Mardi, celle-ci a vivement dénoncé la décision, accusant les conservateurs, au pouvoir à Londres, d’être sans « aucune bonne foi » et « hostiles » au Parlement écossais.

Le projet de réforme de Mme Sturgeon vise à accélérer le processus de changement de genre en Écosse.

Il baisse de 18 à 16 ans l’âge légal pour entamer des démarches, et n’exige plus d’avis médical pour obtenir un certificat de reconnaissance de genre permettant de changer ses documents à l’état civil. Il suffira d’avoir vécu trois mois (plutôt que deux ans) dans son genre acquis.

Le texte a provoqué de vifs débats de société en Écosse, où il a été très critiqué par des groupes féministes.

Il va aussi trop loin pour le gouvernement conservateur de Rishi Sunak, qui tient à conserver l’obligation d’un avis médical pour tout changement de genre – et pas avant l’âge de 18 ans – en vertu d’une « loi sur l’égalité » déjà existante au Royaume-Uni.

Le ministre délégué à l’Écosse, Alister Jack, a assuré que le gouvernement n’avait pas pris cette décision inédite « à la légère », mais argué que la loi écossaise risquait « de créer des complications significatives en créant deux régimes de reconnaissance du genre au sein du Royaume-Uni ».

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Alister Jack, ministre délégué à l’Écosse

Selon le Scotland Act de 1998, régissant le partage de compétences entre Londres et Édimbourg, certaines compétences, comme l’éducation ou la santé, relèvent de Holyrood, tandis que d’autres, comme la défense et les questions constitutionnelles, sont réservées à Westminster.

Professeure de politique à l’Université d’Édimbourg et codirectrice du Centre sur le changement constitutionnel, Nicola McEwen admet toutefois que les frontières sont brouillées dans ce dossier controversé. « En principe, la loi sur l’égalité est une compétence réservée du Royaume-Uni. Cependant, le processus d’application pour un certificat de reconnaissance de genre est une compétence dévolue à l’Écosse. L’enjeu, ici, est de savoir si la loi écossaise aura un impact défavorable sur la loi britannique. »

Un bras de fer judiciaire

Pour Nicola McEwen, il est « difficile de dire » si ce nouveau chapitre dans les relations parfois houleuses entre Londres et Édimbourg fouettera les ardeurs du mouvement souverainiste écossais. Mais il donne certainement de nouveaux arguments à Nicola Sturgeon pour promouvoir la tenue d’un autre référendum pour l’indépendance, ce que lui refusent sèchement tous les premiers ministres conservateurs depuis Boris Johnson.

Réagissant au veto britannique, la première ministre écossaise a accusé Londres d’utiliser les personnes trans comme « une arme politique » et déclaré vouloir aller devant les tribunaux pour défendre sa loi, mais aussi « l’institution qu’est le Parlement écossais, la capacité des parlementaires écossais, démocratiquement élus, de légiférer dans leurs domaines de compétence ».

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Nicola Sturgeon, première ministre de l’Écosse

Ce ne serait pas le premier bras de fer judiciaire entre Londres et Édimbourg.

Il y a trois mois, la Cour suprême britannique avait conclu que l’Écosse ne pouvait pas organiser un nouveau référendum d’indépendance sans l’accord de Londres, provoquant l’ire de Mme Sturgeon. La première ministre avait alors répliqué qu’elle transformerait les prochaines élections britanniques (prévues fin 2024) en un vote « de facto » sur l’indépendance de l’Écosse, une position qu’elle semble depuis avoir adoucie.

En 2014, le référendum sur l’indépendance de l’Écosse s’était soldé par une défaite du Oui à 45 %, contre 55 % pour le Non.

Les lois sur le changement de genre, ailleurs dans le monde

L’Argentine a été le premier pays à autoriser le changement de genre à l’état civil sur simple déclaration, et ce, dès 2012.

Au Danemark, en Belgique, en Irlande, au Luxembourg, à Malte, en Espagne et au Portugal, il suffit de demander aux autorités compétentes de changer votre genre sur l’état civil, et celui-ci sera modifié sans obligation de fournir d’avis médical. L’Allemagne devrait être le prochain pays européen sur la liste.

En France, la modification de l’état civil est toujours déterminée par un tribunal. La personne qui souhaite faire ce changement doit fournir des preuves qu’elle est reconnue socialement comme le genre qu’elle revendique.

Aux États-Unis, depuis avril 2022, les citoyens américains peuvent choisir la mention « X » (neutre) pour définir leur genre sur leur passeport.

En 2020, la Hongrie a mis fin à la reconnaissance judiciaire des personnes transgenres, en s’appuyant sur la notion de « sexe à la naissance ».

Au Québec, le changement de genre est accessible à tous depuis 2016. Il doit être soutenu par une déclaration sous serment et, pour les mineurs spécifiquement, d’une lettre d’appui d’un professionnel de la santé. Le consentement parental est aussi requis pour les moins de 14 ans.

Sources : Agence France-Presse, BBC, Euronews, 20 minutes, Independent, Associated Press