(Mytilène) Le chaos et la colère régnaient mardi au procès sur l’île grecque de Lesbos de 24 travailleurs humanitaires accusés d’« espionnage », parmi lesquels la réfugiée syrienne Sarah Mardini, qui a inspiré avec sa sœur nageuse olympique une fiction diffusée sur Netflix.

Ce procès, présenté dans un rapport du Parlement européen comme « la plus grande affaire de criminalisation de la solidarité en Europe », a été ajourné jusqu’à vendredi après une première interruption en matinée en raison de l’absence d’un des accusés et de son avocat.

Entamées en novembre 2021, les audiences au tribunal de Mytilène, chef-lieu de Lesbos, avaient déjà été ajournées dès la première journée en raison de litiges procéduraux.

La présidente de la Cour a précisé mardi que seules les accusations d’« espionnage » à l’encontre de ces travailleurs humanitaires allaient être examinées tandis que les poursuites pour les crimes de blanchiment d’argent, trafic de migrants et fraude seront examinées plus tard lorsque l’instruction sera achevée.

Les accusés, qui travaillaient pour une ONG de secours aux migrants débarquant à Lesbos depuis les côtes turques voisines, encourent « jusqu’à 25 ans de prison » pour l’ensemble des accusations, estime Amnistie internationale.

Cette audience chaotique a suscité un vif mécontentement des accusés et ONGs de défense des droits humains alors que les poursuites ont été lancées par la justice grecque il y a plus de quatre ans.

« Inacceptable »

Les avocats des accusés ont réclamé mardi que la Cour abandonne les charges dans ce premier volet en raison de vices de procédure comme le manque de traductions de documents judiciaires ou l’absence d’envoi de documents à certains accusés pour qu’ils se présentent en tribunal.

« Les avocats (de la défense) ont fourni des arguments irréfutables démontrant pourquoi la façon dont se déroule ce procès est inacceptable », a assuré l’Allemand d’origine irlandaise Sean Binder, l’un des principaux accusés, qui a réclamé l’application de « l’État de droit ».

« J’espère qu’elle (la présidente de la Cour) va abandonner ces charges sans fondement comme le demande aussi Amnistie internationale », a renchéri la députée européenne, l’Irlandaise Grace O’Sullivan, présente à Lesbos.  

« Toutes les accusations contre nous que ce soit pour espionnage ou blanchiment d’argent ne tiennent pas. Ce procès a un objectif politique », a renchéri un autre accusé, le Néerlandais Pieter Wittenberg.  

Pour Human Rights Watch (HWR), les poursuites ont été engagées sur la base de rapports policiers contenant des erreurs factuelles « notamment des affirmations selon lesquelles certains des accusés ont participé à des opérations de sauvetage à des dates où ils ne se trouvaient même pas en Grèce ».

Netflix

Sarah Mardini, réfugiée syrienne à Berlin depuis 2015, n’était pas présente à l’audience.

En août 2018 lors de son arrestation, la jeune femme travaillait comme bénévole pour l’ONG ERCI sur cette île grecque qui a vu des centaines de milliers de réfugiés notamment syriens affluer dans des conditions dramatiques en 2015 et 2016.

L’histoire de Sarah Mardini et de sa sœur, la nageuse olympique Yusra, a suscité un immense intérêt au point qu’elles sont à l’affiche du film Les Nageuses qui retrace leur périlleuse traversée de l’Europe en 2015 et diffusé sur la plateforme Netflix.

Sarah Mardini a passé trois mois en prison en Grèce avant de pouvoir rentrer à Berlin. Elle n’avait pas pu se rendre à l’ouverture du procès en raison d’une interdiction d’entrer en Grèce.  

Dans un entretien au quotidien allemand Tagesspiegel fin 2021, la jeune femme avait confié son profond mal-être dû à ses démêlés judiciaires.  

« Je veux retrouver ma vie (d’avant). Ces trois dernières années, je n’ai pas eu de vie […] J’existe par mon corps. Mais par rien d’autre en ce moment », avait dit la Syrienne qui a abandonné des études dans une université berlinoise et indiqué souffrir de troubles psychologiques.

Devant la multiplication des procédures judiciaires à leur encontre, les ONG de sauvetage de migrants en mer ont presque toutes cessé leurs opérations en Grèce, pays accusé de procéder à des refoulements illégaux de migrants à ses frontières maritime et terrestre vers la Turquie.