(Kherson) L’ukrainien utilisé au quotidien, des notes écrites sur les mouvements de l’ennemi, le refus d’acheter des produits russes : à Kherson, les habitants disent avoir usé de plusieurs moyens pour résister à l’occupation de la ville par les troupes de Moscou, malgré la peur.

Interrogés par l’AFP, plusieurs habitants de cette importante ville du sud de l’Ukraine ont raconté les mois d’occupation russe et pour certains, les actes de résistance qu’ils ont mis en place pour montrer leur rejet de la tentative russe d’annexer ces territoires.

Ils disent aussi aujourd’hui avoir peur que les sympathisants prorusses d’hier soient toujours dans la ville, cachés depuis l’arrivée des Ukrainiens en fin de semaine.

« Il y a tellement de gens que je vois encore tous les jours qui, je sais, nous dénonçaient » aux Russes, fustige auprès de l’AFP Olga, qui ne souhaite donner que son prénom par souci de sécurité.

« Ces bâtards ne sont pas tous partis », assure cette femme de 47 ans alors que l’armée russe, mise sous pression depuis plusieurs semaines par une contre-offensive ukrainienne, s’est retirée la semaine dernière de la rive occidentale du fleuve Dniepr.

« Très peur »

Depuis le départ des Russes et l’arrivée des soldats de Kyiv vendredi, les habitants de Kherson se réunissent sur une place du centre-ville, des larmes de joies sur les joues, des drapeaux ukrainiens bleu et jaune sur les épaules.

Ils échangent leurs récits des mois d’occupation russe en faisant la queue pour obtenir un peu de signal pour leur téléphone à partir de la seule station Starlink disponible dans la ville.

Parmi la foule, Volodymyr Timor, 19 ans, raconte à l’AFP comment lui et ses amis ont passé des mois à observer les mouvements des soldats russes dans les rues de Kherson.  

« Tu observes attentivement puis tu rentres à la maison et tu notes tout, avant de tout envoyer. Absolument tout : téléphones, papiers, habits », explique ce jeune homme qui voulait devenir musicien avant la guerre.

« On signalait tout : où se trouvaient leurs équipements et leurs lieux de stockage de munitions, où ils dormaient, où ils allaient boire des coups », ajoute Timor.

Les informations envoyées à l’armée ukrainienne ont permis aux troupes de Kyiv de cibler de manière efficace les positions russes lors d’une contre-offensive lancée en septembre.

« Croyez-moi, j’avais très peur », dit ce jeune homme de haute taille, à l’idée d’être arrêté et probablement tué.

PHOTO BERNAT ARMANGUE, ASSOCIATED PRESS

Un soldat ukrainien serre sa grand-mère dans ses bras lors de son retour dans le village de Tsentralne, dans la région de Kherson.

Limiter les échanges

Iryna Bovkoune et Natalia Smyrnova ont, elles aussi, résisté à leur manière.

Les deux femmes récupéraient de l’eau dans le fleuve Dniepr qui longe Kherson pour tirer la chasse aux toilettes ou encore laver le sol, et limiter ainsi leur consommation d’eau potable, une denrée rare.  

« Certains d’entre nous ont attendu quatre ou cinq mois avant d’acheter de la nourriture ramenée par les Russes », affirme Mme Bovkoune, 55 ans.

La Russie a introduit il y a plusieurs mois le rouble comme monnaie au quotidien, tout en laissant la possibilité aux habitants d’utiliser les hryvnias ukrainiens qui leur restait.

Mais cela a changé après l’annexion de la région de Kherson par Moscou fin septembre.

Selon Mmes Bovkoune et Smyrnova, les Russes ramenaient des produits depuis la Crimée annexée qui étaient jusqu’à dix fois plus chers que les aliments vendus avant la guerre.

Certains habitants faisaient tout pour éviter le moindre contact avec les produits et la devise russes.

« Je ne peux pas décrire à quel point je détestais toucher ces roubles », lâche Mme Smyrnova, une ancienne comptable.

« Je parlais ukrainien »

Lada Koloskova, journaliste à la radio locale, explique, elle, avoir utilisé une autre arme pour faire face à l’occupation russe : en parlant ukrainien au quotidien.

« Je parlais ukrainien. Mes amis parlaient ukrainien entre eux, comme tout le monde. Même les habitants russophones s’y sont mis », affirme cette femme de 47 ans.

Comme un moyen pour montrer son indépendance et s’assurer que les Russes infiltrés ne puissent pénétrer leur vie privée.

Les services de sécurité ukrainiens limitent depuis vendredi les sorties de Kherson pour tenter de mettre la main sur de possibles collaborateurs qui n’auraient pas eu le temps de partir et se seraient habillés en civils pour échapper aux soldats de Kyiv.

Selon des images sur les réseaux sociaux, ils auraient pu être bloqués alors que le pont principal pour passer de la rive droite à la rive gauche du fleuve Dniepr a été détruit la semaine dernière lors du retrait de l’armée russe.

Des analystes militaires soupçonnent la Russie de vouloir mettre en place des cellules dormantes et des unités de sabotage dans Kherson.

« C’est dangereux de parler dans la rue », assure Olga, une habitante.  

Même son de cloche chez Lada Koloskova. « Quand les Russes sont arrivés le 1er mars, on a vite compris qu’ils avaient l’intention de rester longtemps », explique-t-elle.

« Mais on n’aurait jamais imaginé qu’ils restent aussi longtemps », lâche-t-elle.