(Paris) Quand elle s’avance à la barre, cette femme à la carrure athlétique paraît soudain très frêle : Magali Cotton est la policière qui a abattu l’auteur de l’attentat de Nice, en France, le 14 juillet 2016, mais elle ne joue pas les héroïnes.

Venue témoigner mardi au procès devant la cour d’assises spéciale de Paris, elle fond en larmes, puis s’agrippe à la barre et commence d’une voix grave son récit.  

Celui de trois policiers lancés, à pied, aux trousses d’un camion de 19 tonnes en train de commettre un massacre sur la Promenade des Anglais, où près de 30 000 personnes étaient rassemblées pour assister aux festivités de la fête nationale.

Arrivés à sa hauteur, ils s’approchent de la cabine et crient au chauffeur d’arrêter. Ils ne pensent alors pas à un attentat, plutôt à un homme ivre, « qui ne gère plus son véhicule ».

Mais « le chauffeur pointe une arme sur nous et tire trois fois », avant de repartir à toute allure, affirme Magali Cotton, cheveux bruns tirés en arrière, jean et T-shirt noir, mimant le geste effectué par l’assaillant, le Tunisien Mohamed Lahouaiej-Bouhlel.

« On part en courant derrière le camion. Il y a tous les gens qui se font écraser, on voit les gens qui passent sous les roues, qui se font projeter. Moi je me dis “putain, il faut que ça s’arrête, il faut que ça s’arrête” », raconte la policière, aujourd’hui âgée de 39 ans.

Après environ 200 mètres, le camion s’immobilise, suite à une panne mécanique.

Ses collègues partant sur la gauche, la jeune femme décide de remonter le camion par la droite.  

« Il y a un homme qui est accroché portière passager. Je sais pas qui c’est. Il me dit “passe-moi ton arme, bute-le”. Je lui demande de partir », se rappelle-t-elle.

Radio en panne

« Je m’avance. Je passe mon arme dans la cabine, la fenêtre était ouverte ou brisée, et je tire à plusieurs reprises », poursuit Magali Cotton.

Elle aperçoit alors la tête du conducteur « contre le montant » de la cabine, côté passager, « avec du sang ».

Ses collègues arrivés entre-temps continuent à faire feu, jusqu’à ce que l’un d’eux ordonne de cesser les tirs.

Douze balles, provenant toutes de la police nationale, ont été retrouvées, lors de l’autopsie, dans le corps de Mohamed Lahouaiej-Bouhlel. Celle qui a provoqué son décès a touché « la carotide du côté droit ».

La policière, qui s’est constituée partie civile, remonte ensuite les victimes au sol pour porter secours, mais « il n’y avait rien à faire. Les gens qui avaient pu partir étaient partis ».

« Je suis dans la police depuis 2005. J’ai déjà été confrontée à des choses dures. Mais par rapport à ça… » Elle secoue la tête et ajoute : « Je peux pas comparer ».

Interrogée sur le dispositif en place ce soir-là, côté police nationale, elle assure qu’il était « habituel pour le 14 juillet », mais ajoute « quand on voit le résultat, bien sûr, c’était trop léger ».

Son amertume pointe lorsqu’elle évoque le deuxième équipage de police positionné comme eux mais parti pour effectuer une procédure mineure, « un vélo bleu volé », juste avant que le camion ne surgisse. « J’ai dit à mon chef : “Il y a peut-être mieux à faire ce soir” », se rappelle-t-elle.

Autre grief, alors que deux collègues d’une unité canine les avaient avertis par radio de ce qu’il se passait, 45 secondes avant, sa « radio ne marchait pas », « un problème récurrent » selon elle.

« Donc ça aurait pu se terminer avant », estime-t-elle, s’ils avaient su qu’ils avaient à faire à un attentat dès la première fois où ils se sont approchés de la cabine du poids lourd.

Toujours dans la police, elle a demandé sa mutation à Lyon (centre-est) en 2017.

« Dans un service moins exposé ? » l’interroge l’une des juges assesseurs.

« Non non, je suis dans la BAC », la brigade anticriminalité, répond-elle, expliquant qu’elle « pense tous les jours » à l’attentat, mais qu’elle tient en mettant les images de cette soirée « dans des cases, pour essayer de les archiver ».