Les attaques de drones russes lancées lundi matin sur des villes ukrainiennes, dont la capitale Kyiv, ouvrent un nouveau tournant dans la guerre menée par la Russie, tout en étant un signe de faiblesse du pays envahisseur.

« Oui, c’est nouveau dans la mesure où ces drones sont utilisés pour terroriser la population et pour atteindre des cibles non militaires, dit Dominique Arel, titulaire de la Chaire en études ukrainiennes de l’Université d’Ottawa. On assiste à des attaques indiscriminées. Et même si les Ukrainiens ont été en mesure d’intercepter la plupart des drones, certains d’entre eux ont explosé en faisant des morts chez les civils. »

Vers 6 h 30 lundi, heure de Kyiv, les sirènes d’une attaque en cours ont résonné. Un drone est tombé dans le quartier Shevchenkivskyi et a explosé. Plusieurs édifices résidentiels ont été touchés et quatre personnes, dont une femme enceinte de six mois, ont été tuées.

PHOTO YASUYOSHI CHIBA, AGENCE FRANCE-PRESSE

Drone kamikaze dans le ciel de Kyiv lundi

Des drones sont aussi tombés dans d’autres quartiers de la capitale ainsi que dans les villes de Kharkiv, Soumy, Donetsk et Dnipropetrovsk. Quatre personnes ont été tuées à Soumy, portant à au moins huit le bilan des personnes tuées chez les civils. Des centaines de localités ont aussi été privées d’électricité.

Joint à Paris, Jean-Christophe Noël, chercheur associé à l’Institut français des relations internationales, s’attarde justement aux pannes provoquées par l’explosion de missiles. Car il croit qu’il faut analyser les frappes au-delà des pertes civiles, souvent mises de l’avant par les médias et les dirigeants ukrainiens.

« Un peu comme avec les V1 et les V2 durant la Seconde Guerre mondiale, des missiles qui frappent les populations, cela va créer de l’insécurité, dit-il. Mais ce n’est pas ce qui va bouleverser la guerre. Les Russes cherchent aussi à frapper le secteur énergétique. Avec l’hiver qui s’en vient, de telles frappes risquent de compliquer l’approvisionnement en énergie du pays. »

« Mopeds » meurtrières

Selon les constats des médias sur place, la très grande majorité des drones, de fabrication iranienne, ont cependant été interceptés et détruits en raison de leur basse vitesse de déplacement.

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Un policier tire en direction d’un drone kamikaze volant au-dessus de Kyiv, lundi.

Dans une déclaration par vidéo, le président de l’Ukraine, Volodymyr Zelensky, s’est montré convaincu que la nouvelle initiative russe ne sera pas couronnée de succès. « Les ennemis peuvent attaquer, mais ils ne réussiront pas à nous briser », a-t-il lancé. « Les Russes croient que cela va les aider, mais ils ne font que montrer leur désespoir », a ajouté Andriy Yermak, chef de cabinet du président ukrainien.

Comme d’autres experts, Dominique Arel voit dans cet appel des Russes à avoir recours à de l’armement extérieur comme un signe de faiblesse.

La Russie, qui était une superpuissance militaire à l’époque de l’URSS et qui se présente encore ainsi, doit commencer à miser sur des drones provenant d’Iran, l’autre pays ultra-sanctionné de la planète… Ça montre que l’arsenal russe commence sérieusement à être dégradé et diminué.

Dominique Arel, titulaire de la Chaire en études ukrainiennes de l’Université d’Ottawa

Jean-Christophe Noël évoque aussi ce « problème de production » chez les Russes qu’il impute entre autres à la corruption. Par contre, il est surpris de voir que les troupes de Vladimir Poutine continuent à pilonner l’Ukraine. « Certains experts évaluaient à entre 2000 et 2500 les missiles russes prêts à être tirés. Mais ça continue. À petit nombre, oui, mais ils ont trouvé un moyen complémentaire avec les drones iraniens. »

INFOGRAPHIE LA PRESSE

Portant le nom de Shahed-136, les drones iraniens, valant 20 000 $ l’unité, sont petits, volent à basse altitude et font un bruit terrible à leur approche. Les soldats russes les ont surnommés « mopeds » (vélomoteurs) en raison du bourdonnement de leur moteur.

Par contre, ils auraient un rayon d’action allant jusqu’à 2400 kilomètres, selon le fabricant.

Selon Dominique Arel, ces engins n’ont pas de caméras, ce qui les distingue des autres types de drones, utilisés tant du côté russe que du côté ukrainien pour cueillir des renseignements sur les positions ennemies. « Les experts nous disent que c’est la première fois que des drones sont utilisés sur des cibles non militaires », ajoute-t-il.

Mise en garde

Sur sa page Twitter, l’expert Justin Bronk, chercheur senior au Royal United Services Institute, indique que l’Iran a, dans le passé, vendu de tels drones kamikazes aux rebelles houthis basés au Yémen et en a lancé sur Israël à partir de la Syrie.

À la suite des premières attaques, le chef de la diplomatie ukrainienne, Dmytro Kouleba, a réclamé sur Twitter que des sanctions soient imposées à l’Iran pour avoir fourni ces engins de la mort.

L’appel semble avoir été entendu, car à Washington, un porte-parole du département d’État, Vedant Patel, a mis en garde quiconque, entreprises ou États, travaillant avec l’Iran sur la conception de drones kamikazes.

« Toute personne exerçant des activités avec l’Iran en lien avec le développement de drones ou missiles balistiques ou [participant à] la circulation d’armes de l’Iran vers la Russie devrait faire preuve de vigilance, a-t-il lancé. Les États-Unis n’hésiteront pas à avoir recours à des sanctions ou à prendre des mesures à l’encontre des principaux responsables. »

Avec l’Agence France-Presse, Foreign Policy et The Kyiv Independent

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