Dans une adresse à la nation mercredi, le président russe, Vladimir Poutine, a annoncé la mobilisation de 300 000 réservistes pour aller prêter main-forte à son armée en Ukraine. Il a aussi dit qu’il était prêt à utiliser « tous les moyens » pour arriver à ses fins. Que faut-il comprendre de cette escalade ? Explications.

Le président Poutine s’est dit prêt à utiliser « tous les moyens » dans son arsenal face à l’Occident, qu’il a accusé de vouloir « détruire » la Russie. « Ce n’est pas du bluff », a-t-il assuré. Il a aussi annoncé la mobilisation des réservistes de l’armée. Pourquoi le président russe a-t-il adopté un ton plus menaçant ?

« On sentait le changement de ton ces derniers jours », dit Yann Breault, professeur adjoint au Collège militaire royal de Saint-Jean. Des commentateurs et analystes russes ont évoqué publiquement les insuccès sur le terrain ukrainien avec un mantra : Poutine n’en fait pas assez. La réplique du président est venue mercredi.

« C’est un geste périlleux pour Poutine parce qu’il n’y a pas, surtout chez les jeunes, un enthousiasme pour aller se sacrifier sur les champs de bataille ukrainiens », dit M. Breault. Le mécontentement des Russes risque d’être plus audible – plus de 1300 personnes auraient d’ailleurs été arrêtées mercredi lors de manifestations. « Mais ce serait de la pensée magique de penser que Poutine sera éjecté du pouvoir demain matin », dit Yann Breault. Néanmoins, dit-il, « il s’agit d’un aveu que l’opération militaire spéciale est un échec. On parle de moins en moins de démilitarisation et de dénazification de l’Ukraine, [on parle] plutôt de résistance à l’agression de l’Occident ».

Faut-il craindre le recours à l’arme nucléaire ?

La menace est réelle, disent les observateurs. Des référendums seront bientôt tenus dans quatre régions ukrainiennes occupées par les Russes – Louhansk, Donetsk, Kherson et Zaporijjia. Ils doivent entériner l’annexion des territoires conquis par la Russie. « Dans la doctrine nucléaire russe, l’usage de l’arme nucléaire est justifié lorsqu’il y a une menace à l’intégrité territoriale de la Russie », dit Yann Breault. Quelques heures après le discours de Vladimir Poutine, le président des États-Unis, Joe Biden, a dit prendre les menaces de recourir à l’arme nucléaire au sérieux. « Il est impossible de gagner une guerre nucléaire et il ne faut pas la mener », a-t-il déclaré. Yann Breault rappelle que cette guerre ne ressemble à aucune autre menée ces dernières années. « On se bat contre une puissance qui possède 6000 ogives nucléaires, et j’envisage très difficilement comment on peut concevoir une victoire totale contre une puissance qui dispose d’une capacité de destruction à peu près équivalente à celle des États-Unis. »

Qu’en est-il des 300 000 réservistes qui sont appelés sous les drapeaux ?

C’est l’objectif que souhaite atteindre le ministère de la Défense. « Il est possible qu’ils ne réussissent pas à attirer assez de volontaires, que certains veuillent quitter le pays pour ne pas combattre », observe Justin Massie, professeur au département de science politique à l’UQAM. Et ces soldats, même s’ils sont réservistes, devront être formés avant d’être envoyés sur le terrain. « Ça ne se fera pas dans les prochains jours », dit le spécialiste. Les Ukrainiens ont une « fenêtre d’opportunité pour essayer de faire un maximum de gains dans les prochaines semaines avant que n’arrivent les renforts », dit Justin Massie. « Il est beaucoup plus facile de défendre un territoire que de le conquérir. »

La stratégie de l’Ukraine doit-elle être de gagner le plus de terrain possible avant les référendums ?

Idéalement, oui. Mais Yann Breault n’y croit pas trop. « Les régions de Louhansk et de Donetsk sont mieux protégées que celles qui ont été reprises, et celle de Kherson a été considérablement renforcée », dit-il. « Je doute de la capacité des Ukrainiens de se dépêcher et d’opérer une contre-offensive éclair avant les référendums. » De plus, la population dans les régions reprises était peu favorable à l’occupation, ce qui n’est pas le cas ailleurs.

Que faudra-t-il surveiller dans les prochains jours ?

Pour Ekaterina Piskunova, de l’Université de Montréal, il faudra voir si les alliés de l’Ukraine réviseront leurs livraisons d’armes. Jusqu’ici, « les Américains étaient très réticents à fournir des armes de longue portée capables d’atteindre le territoire russe, dont la Crimée », rappelle Mme Piskunova. « Mais si les Ukrainiens attaquent la Russie avec des armes américaines, la Russie peut l’interpréter comme une attaque américaine à son endroit. » Si les territoires ukrainiens « deviennent » russes, la confrontation sera périlleuse. Quel prix sont prêts à payer les Américains ? « C’est une guerre qui devient de plus en plus dangereuse parce qu’aucun des opposants ne peut se permettre de perdre. Pour les États-Unis, cela représenterait une troisième défaite de suite, après la Syrie et l’Afghanistan. Et Poutine, ce n’est pas une personnalité qui peut se permettre de reculer. Il y a très peu de marge de manœuvre pour une négociation. »

En savoir plus
  • 6255
    Nombre d’ogives nucléaires que possède la Russie, contre 5550 pour les États-Unis
    source : Institut de recherche international pour la paix de Stockholm
    1600
    Nombre d’ogives nucléaires russes opérationnelles, prêtes à lancer du sol, d’un sous-marin ou d’un avion
    source : Institut de recherche international pour la paix de Stockholm