Des pays de l’Union européenne se préparent à une nouvelle baisse des livraisons en provenance de Russie et l’Espagne est devenue mardi le plus récent pays à annoncer des restrictions dans ce domaine, qui devraient s’appliquer jusqu’en novembre 2023.

Le gouvernement du premier ministre socialiste Pedro Sánchez a notamment indiqué qu’il limitera le recours à la climatisation et au chauffage dans les bâtiments publics et les grands centres commerciaux en fixant des températures limites.

Les pays membres de l’Union européenne (UE) ont convenu la semaine dernière de la nécessité de réduire leur consommation de gaz naturel de 15 % jusqu’en mars 2023 en adoptant les mesures de leur choix.

Ces restrictions doivent notamment permettre de constituer des stocks qui pourront servir entre pays membres si jamais Moscou décide de couper court à tout approvisionnement, particulièrement en hiver alors que la demande est à son maximum.

Le ministre de l’Industrie et du Commerce tchèque, Jozef Síkela, qui préside l’UE, a relevé que l’entente montrait que les pays membres demeurent « unis et solidaires », alors que la Russie cherche à utiliser ses exportations énergétiques comme une « arme » pour les diviser et limiter les sanctions imposées en réaction à l’invasion de l’Ukraine.

« Énorme pression » sur l’Europe

Benjamin Schmitt, spécialiste en sécurité énergétique européenne rattaché à l’Université Harvard, relève que la réduction progressive des exportations du géant pétrolier russe Gazprom par l’entremise du pipeline Nord Stream 1 exerce une « énorme pression » sur l’Europe.

En évoquant des problèmes techniques non confirmés, les dirigeants de Gazprom ont progressivement réduit les exportations de 80 % et laissent planer la possibilité d’une coupure totale.

La Russie ne présente jamais ces décisions comme un geste politique. Elle invoque plutôt des excuses techniques.

Benjamin Schmitt, spécialiste en sécurité énergétique européenne rattaché à l’Université Harvard

Le résultat des coupures, ajoute-t-il, est vécu de manière inégale sur le continent puisque certains pays européens ont pris des mesures au cours des dernières années pour réduire leur dépendance au gaz russe, alors que d’autres ont trop tardé.

La Pologne et la Bulgarie, qui ont été les premiers pays visés par les mesures de représailles énergétiques russes, avaient fait des efforts importants dans ce domaine et n’ont conséquemment pas trop pâti de la baisse d’approvisionnement.

La situation est très différente en Allemagne, qui avait décidé de « renforcer ses liens » avec la Russie plutôt que de diversifier ses fournisseurs et se trouve particulièrement fragilisée aujourd’hui.

Faute d’options, Berlin a notamment donné son accord, il y a quelques jours, à la relance d’une centrale au charbon qui avait été mise hors service, une décision décrite comme un « mal nécessaire » par un ministre écologiste.

La facture augmente

Le plan d’économie d’énergie mis en place doit permettre de protéger en priorité les familles allemandes, qui se montrent néanmoins inquiètes. Les médias locaux rapportent une montée marquée des ventes de bois de chauffage et de radiateurs électriques d’appoint.

La facture énergétique des ménages pourrait augmenter sensiblement. Selon l’Agence France-Presse, un important fournisseur de gaz, RheinEnergie, a souligné mardi que la facture de ses clients de la région de Cologne allait doubler dès le 1er octobre.

Le directeur du département de science politique de l’Université de Montréal, Frédéric Mérand, note que les risques de pénurie de gaz et les hausses de prix sont de nature à faire monter la pression populaire sur le gouvernement. Le secteur industriel risque aussi de se faire entendre.

Ces protestations pourraient inciter le pays à adopter une approche plus timorée envers la Russie alors que plusieurs pays membres de l’UE le considèrent comme déjà « trop mou » sur le sujet, note le chercheur.

Toute tentative d’adopter de nouvelles sanctions contre Moscou se heurterait certainement par ailleurs à la Hongrie, qui entretient des liens étroits avec le régime du président russe Vladimir Poutine.

L’Italie, en voie de se doter d’un gouvernement regroupant des formations d’extrême droite conciliantes avec Moscou, pourrait aussi poser problème, note M. Mérand.

Désavantage temporaire

La donne énergétique semble jouer en faveur de la Russie, mais les choses risquent de changer à long terme, dit le chercheur, puisque les pressions actuelles vont accélérer les transformations requises pour affranchir l’Europe de son gaz.

M. Schmitt note par ailleurs que Moscou peut couper le gaz vers l’Europe, mais peut difficilement rediriger sa production vers d’autres fournisseurs pour écouler ses surplus et compenser les revenus perdus.

Le marché du pétrole est plus flexible, dit-il, puisque le transport se fait par des navires pouvant rapidement être envoyés ailleurs, alors que les exportations de gaz passent principalement par des infrastructures fixes nécessitant d’importants investissements.

Gazprom affirme avoir augmenté de 60 % ses exportations de gaz vers la Chine, mais il n’est « pas possible » que ce marché pallie les sommes sacrifiées par Moscou pour tenter d’exercer son « influence politique » en Europe, note Benjamin Schmitt.