La route vers Kherson, occupée par les Russes, dans le sud de l’Ukraine, traverse un no man’s land de champs de blé calcinés et de villages cratérisés. Les queues de roquettes dépassent de l’asphalte, et le boum de l’artillerie entrante et sortante ricoche sur les maisons abandonnées.

Le long d’une ligne de front en dents de scie, les forces ukrainiennes se préparent à l’une des actions militaires les plus ambitieuses et les plus importantes de la guerre : la reprise de Kherson. Première ville à tomber aux mains des forces russes, Kherson et les terres fertiles qui l’entourent constituent une tête de pont russe essentielle, à partir de laquelle l’armée lance continuellement des attaques sur une large bande du territoire ukrainien. Reprendre le contrôle de la ville pourrait également contribuer à redonner de l’élan à l’Ukraine et à donner à ses troupes le moral dont elles ont tant besoin, après des mois de combats acharnés.

« Nous voulons libérer notre territoire et le rendre à notre contrôle », a déclaré Sergei Savchenko, lieutenant principal de la 28e Brigade ukrainienne, qui est retranchée le long de la frontière occidentale de la région de Kherson. « Nous sommes prêts. Cela fait longtemps que nous le voulons. »

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Champ de blé calciné près de Mykolaïv

Déjà, les combats aux frontières ouest et nord de la région s’intensifient, alors que les forces ukrainiennes – actuellement à environ 50 kilomètres de la ville à leur point le plus proche – préparent le terrain pour une grande offensive. Depuis un mois, les forces d’artillerie et de roquettes ukrainiennes affaiblissent les positions russes à l’aide d’un éventail de nouvelles armes fournies par l’Occident, comme les systèmes de roquettes d’artillerie à haute mobilité, ou HIMARS, fournis par les États-Unis.

Selon les responsables ukrainiens, les frappes, dont certaines ont été filmées, ont détruit des centres de commandement avancés et des dépôts de munitions clés. Ils affirment que des centaines de soldats russes ont été tués et que les attaques ont perturbé l’infrastructure logistique de la Russie. Les entrepôts d’approvisionnement et les postes de commandement ont été repoussés loin des lignes de front, ce qui rend plus difficile le maintien des soldats armés et nourris. Leurs affirmations ne peuvent pas toutes être vérifiées de manière indépendante.

« Vous pourriez comparer cela à des vagues », a déclaré un haut responsable militaire ukrainien qui s’est exprimé sous couvert d’anonymat pour discuter de la planification militaire.

En ce moment, nous faisons de petites vagues et créons les conditions pour en faire de plus grandes.

Un haut responsable militaire ukrainien

Contrairement à la région orientale de l’Ukraine, Donbass, où une force russe massive s’est lentement emparée d’une province ces dernières semaines, l’armée ukrainienne semble avoir commencé à renverser la vapeur dans la région de Kherson, bien que de façon hésitante.

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Barrage routier à l’extérieur de Mykolaïv, zone reprise par les forces ukrainiennes, près de la frontière de la région de Kherson

Après avoir perdu le contrôle de la majeure partie de la région au cours des premières semaines de la guerre, les troupes ukrainiennes ont maintenant libéré 44 villes et villages le long des zones frontalières, soit environ 15 % du territoire, selon le gouverneur militaire de la région, Dmytro Butrii. Les hauts responsables ukrainiens n’ont pas donné de calendrier précis pour la reprise de Kherson, mais le président Volodymyr Zelensky a clairement indiqué qu’il s’agissait d’une priorité absolue.

« Nos forces se déplacent dans la région étape par étape », a-t-il déclaré.

Débat sur la contre-offensive

La contre-offensive prévue par l’Ukraine dans le sud a suscité un débat parmi les responsables occidentaux et certains analystes, qui se sont demandé si l’Ukraine était prête pour un effort aussi important et s’il s’agissait de la meilleure utilisation des ressources alors que les avancées russes ont surtout eu lieu dans le Donbass.

Pourtant, les responsables ukrainiens et de nombreux responsables occidentaux du renseignement ont déclaré qu’il était important que l’Ukraine tente de lancer une contre-attaque. Ils affirment que l’armée russe est dans une posture relativement faible, ayant dépensé des armes et du personnel dans son offensive dans le Donbass. Richard Moore, chef du MI6, le service de renseignement extérieur britannique, a prédit que les Russes seraient contraints de faire une pause, offrant ainsi une ouverture aux forces ukrainiennes.

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Un soldat ukrainien épluche des pommes de terre dans un village qui a été repris aux forces russes, à l’extérieur de Mykolaïv.

Tout effort visant à reprendre un territoire significatif serait néanmoins une entreprise énorme. Les forces russes occupent maintenant la région de Kherson depuis près de cinq mois et n’ont pratiquement pas été inquiétées dans leurs efforts pour renforcer leurs positions militaires et préparer un assaut. Elles ont installé de nouveaux dirigeants dans la ville elle-même ainsi que dans les principales villes et les principaux villages.

Selon certains responsables occidentaux et ukrainiens, une contre-attaque nécessiterait un nombre considérable de soldats et beaucoup plus de systèmes d’armes offensives que ce dont dispose l’Ukraine pour le moment. L’Ukraine dépense globalement entre 6000 et 8000 obus par jour. Si elle devait lancer une attaque active sur Kherson, il lui en faudrait trois ou quatre fois plus.

Un million d’hommes

Oleksii Reznikov, ministre ukrainien de la Défense, a évoqué la nécessité de lever une armée d’un million d’hommes pour reprendre les terres que l’Ukraine a perdues dans la guerre. La région de Kherson est en grande partie rurale, mais la ville de Kherson est une métropole tentaculaire située à cheval sur le fleuve Dniepr. La reprendre pourrait impliquer de violents combats urbains, avec des pertes énormes en soldats et en biens.

« Nous regardons Kherson comme si c’était la prochaine Fallujah », a déclaré Michael Maldonado, 34 ans, un ancien marine américain du Kansas, qui a rejoint la 28e Brigade. « Il va y avoir beaucoup de combats intenses. »

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Michael Maldonado, 34 ans, un ancien marine américain du Kansas, qui a rejoint la 28e Brigade

L’armée ukrainienne devra également tenir compte du grand nombre de civils. La ville a perdu environ un tiers de sa population d’avant-guerre, qui comptait quelque 300 000 habitants, mais un assaut généralisé impliquant des bombardements pourrait faire courir de grands risques à ceux qui restent, ce dont les responsables ukrainiens semblent être conscients.

Le mois dernier, Iryna Vereshchuk, vice-première ministre, a exhorté les habitants de Kherson et de la région environnante à évacuer.

S’il vous plaît, partez, car notre armée va définitivement reprendre ces terres. Notre volonté de le faire est inébranlable.

Iryna Vereshchuk, vice-première ministre de l’Ukraine

Dans les villages désormais contrôlés par la 28e Brigade ukrainienne le long de la frontière occidentale de Kherson, seuls les téméraires restent longtemps en surface. Des nuages de champignons noirs se profilent à l’horizon, et les obus d’artillerie font des allers-retours dans les champs. Cette semaine, le commandant de la Brigade, Vitaly Gulyaev, a été tué dans une attaque à la roquette.

« Chaque jour, nous leur tirons dessus et ils nous répondent, mais ils ne font aucun progrès, a déclaré Sergei Savchenko. Pour l’instant, nous tenons ce territoire, mais dès qu’il y aura un ordre, dès que nous aurons la possibilité de le faire, nous avancerons. »

Cet article a d’abord été publié dans le New York Times.

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