Diplomatie : une fracture Nord-Sud exacerbée
La guerre en Ukraine a levé le voile de façon éloquente sur « la division entre le Nord et le Sud », note Jocelyn Coulon, chercheur au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CERIUM).
« Il existe une unanimité [pour l’instant] entre les pays du Nord pour condamner l’invasion et armer l’Ukraine, dit-il. Toutefois, un nombre impressionnant de grands pays du Sud, souvent alliés des États-Unis, refusent de s’associer aux condamnations ou aux sanctions. »
M. Coulon énumère notamment le Brésil, le Mexique, l’Inde, l’Indonésie, l’Afrique du Sud, la Turquie, Israël, le Pakistan et l’Arabie saoudite. Un calcul à partir d’un site de dénombrement de la population mondiale (World Population Review) indique que les pays énumérés comptent à eux seuls plus de 2,4 milliards d’habitants.
« Ce fossé entre le Nord et le Sud risque de s’élargir, car ces pays du Sud ont acquis depuis une vingtaine d’années une autonomie économique et politique importante : ils ont maintenant la possibilité de se passer de l’Occident dans certains domaines et se tourner vers d’autres pourvoyeurs comme la Chine », poursuit-il.
La guerre aura aussi favorisé un resserrement des liens d’organisations telles l’Union européenne et l’OTAN, sur laquelle le conflit aura des effets à long terme, prédit Thomas Hughes, chercheur au Centre for International and Defence Policy de l’Université Queen’s.
L’accession probable de la Suède et de la Finlande à l’OTAN constitue l’impact à long terme le plus significatif. Les deux pays ont de puissantes forces militaires qui, couplées à leur position géographique, redéfinissent la manière dont l’OTAN pourrait combattre en Europe.
Thomas Hughes, chercheur au Centre for International and Defence Policy de l’Université Queen’s
« Adhérer à l’organisation apporterait de nouvelles garanties de sécurité à ces deux pays », ajoute-t-il.
« Par ailleurs, cette guerre a braqué l’attention sur la sécurité européenne. La présence avancée rehaussée (instaurée en 2017) de l’OTAN pourrait augmenter et devenir permanente. Les dépenses militaires des pays membres vont aussi augmenter à court et moyen terme même si on ne sait pas pour combien de temps. »
Militaire : des investissements en hausse
Emboîtant le pas aux autres membres du bloc occidental, le Canada a annoncé une hausse importante de ses dépenses militaires maison dans la foulée de l’agression russe.
Les 8,1 milliards annoncés le 7 avril par la ministre des Finances Chrystia Freeland pour renforcer les Forces canadiennes d’ici 2026-2027 permettront de hausser la portion du budget canadien consacré à la Défense nationale à 1,5 % du PIB, comparativement à 1,36 % actuellement. On reste toutefois en deçà des cibles de 2 % fixées par l’OTAN et les États-Unis. « Ce n’est pas un sursaut aussi net que souhaité », nuance Justin Massie, professeur de science politique à l’UQAM et codirecteur du Réseau d’analyse stratégique.
Le Canada occupe le 5e rang, en termes de valeur monétaire, parmi les pays fournissant de l’équipement militaire à l’Ukraine. Depuis février 2022, la valeur de cette aide militaire s’élève à 262 millions de dollars.
« Mais pour les fournitures d’armes lourdes, les capacités canadiennes sont très limitées », précise Justin Massie. Ainsi, le Canada a fourni une batterie de quatre obusiers M777 à l’Ukraine soit 10 % de son stock. Le pays a fourni des caméras de drones, mais pas de drones, car… il n’en a pas. Enfin, le Canada a annoncé la fourniture de 20 000 obus d’artillerie à l’Ukraine. Mais ceux-ci ne sont pas dans ses stocks, observe M. Massie. Ils sont achetés à des fabricants américains.
Avec plus de 4 milliards en équipement militaire depuis le 24 février, les États-Unis constituent le principal fournisseur d’armes de l’Ukraine. Suivent le Royaume-Uni, la Pologne et l’Allemagne, qui a annoncé vouloir investir 100 milliards d’euros dans la modernisation de son armée, un changement de cap important dans ce pays.
Alimentation : pénuries mondiales, prix en hausse
À elles deux, la Russie et l’Ukraine comptent pour près de 30 % des exportations mondiales de blé. Or, au même moment, d’autres grands pays producteurs et exportateurs, la France et le Brésil, connaissent une année très moyenne dans les champs. Résultats, les prix ont bondi depuis trois mois.
« Nous sommes dans une tempête parfaite », résume Benoit Legault, directeur général des Producteurs de grains du Québec.
Tous les coûts de la chaîne de production sont affectés, des pesticides au carburant. L’exemple le plus frappant concerne les engrais.
Dans l’est du Canada, on s’approvisionne presque exclusivement en Russie pour les engrais. Or, le gouvernement fédéral a imposé une taxe de 35 % sur les produits importés de Russie, et ce sont les producteurs qui la paient.
Benoit Legault, directeur général des Producteurs de grains du Québec
Professeur émérite au département de géographie de l’Université de Montréal, Rodolphe De Koninck rappelle que depuis la déréglementation des prix du grain à la Bourse de Chicago à la fin des années 1990, le prix des céréales « est très vulnérable à des influences géopolitiques ». « Avant, les prix étaient réglementés, dit-il. Mais depuis la déréglementation, n’importe quelle crise favorise la spéculation. Les gros commerçants sont capables d’acheter et de retenir les stocks pour les libérer quand les prix montent. »
Les pays les plus dépendants des céréales ukrainiennes, notamment ceux de l’Afrique du Nord et l’Indonésie, sont les plus à risque de souffrir de la hausse des prix.