Maryna Khrennikova, qui a fui la guerre pour se réfugier à Montréal, meurt d’inquiétude pour ses proches restés en Ukraine

Sur la carte de l’application Zenly, qui géolocalise ses amis les plus proches, Maryna Khrennikova voit des petits points noirs un peu partout. En France. En Finlande. En Pologne. En Bulgarie. En Norvège. Même en Turquie.

La guerre les a dispersés aux quatre coins du monde.

Quelques-uns sont même restés en Ukraine, malgré le conflit. L’étudiante de 18 ans a atterri au Québec en avril, grâce à un programme organisé dans l’urgence par l’Université de Montréal.

PHOTO GENYA SAVILOV, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Immeuble de Kharkiv fortement endommagé, le 29 mai dernier

Elles sont neuf étudiantes de l’Université Vassili-Karazine de Kharkiv, deuxième ville d’Ukraine, à avoir fui les bombes pour se réfugier à Montréal, ce printemps.

Ces jours-ci, elles terminent à distance leurs examens de la faculté de sociologie de Kharkiv et suivent des cours de français en attendant de commencer leur parcours universitaire à Montréal, en septembre.

Elles sont en sécurité. Mais 100 jours après le matin funeste où Maryna a entendu une amie pleurer au bout du fil et a compris que sa détresse n’avait rien à voir avec une récente rupture amoureuse, la guerre est toujours là. Omniprésente, dans sa tête et dans son cœur.

« Quand j’étais en Ukraine, je ne pleurais jamais, j’étais trop occupée à survivre », dit Maryna, qui aura passé trois semaines et demie sous l’offensive russe avant de quitter sa ville avec un sac à dos et une petite valise pour tout bagage.

Trois semaines à se faire réveiller jusqu’à trois fois par nuit pour courir à l’abri. À apprendre à distinguer au son le type de bombardements pour évaluer le danger en conséquence. À se poser la même question lancinante : partir ou rester ?

PHOTO RICARDO MORAES, ARCHIVES REUTERS

Usine en feu à la suite d’un bombardement russe à Kharkiv, le 30 avril dernier

Un jour, la famille s’est rassemblée dans l’appartement du 16étage de son immeuble de Kharkiv.

« Nous sommes tous des adultes », a dit son père en s’adressant à Maryna et à son frère de 21 ans.

Chacun devait dorénavant prendre ses décisions, aucun choix n’étant sans risque. C’était chacun face à sa peur et à son jugement.

Maryna a choisi de partir, seule, dans un de ces trains bondés qui quittaient quotidiennement la gare de Kharkiv.

Une décision crève-cœur. « C’est vraiment difficile de laisser sa famille quand on risque de ne jamais la revoir. »

Pleurer d’impuissance

À Kharkiv, Maryna était plongée au cœur de la guerre.

Aujourd’hui, elle la suit de loin. Elle ne vit plus dans la terreur de mourir. Mais psychologiquement, c’est d’une certaine manière plus difficile. Elle voit toutes ces villes bombardées. Et elle meurt d’inquiétude pour ses proches restés en Ukraine.

Un jour, alors qu’elle attendait son visa canadien en France, sa grand-mère a interrompu brusquement leur conversation téléphonique en lançant : « Je ne peux pas parler, ils bombardent. »

Dans le café où elle a pris ses habitudes, Maryna montre la photo du cratère qu’un obus a creusé ce jour-là à côté de la maison de sa grand-mère. « C’est un miracle si elle est toujours en vie. »

Rongée par le sentiment d’impuissance, Maryna a alors pleuré toutes les larmes de son corps. Mais elle reste convaincue d’avoir fait le bon choix. Elle veut étudier et retourner reconstruire l’Ukraine, quand cette folie sera terminée. Pas avant.

Car elle voit avec consternation des gens rentrer à Kharkiv, depuis que l’armée ukrainienne a repoussé les Russes, à la mi-mai. Quand ils ont vu que le métro, dont les stations avaient donné abri à des milliers de gens, avait recommencé à rouler, des milliers d’habitants de la ville sont rentrés chez eux.

PHOTO BERNAT ARMANGUE, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Des habitants prennent le métro à Kharkiv, à la fin du mois de mai dernier.

« Pourtant, il y a toujours des attaques », s’étonne Maryna.

Mais elle les comprend, aussi. « Les gens ne peuvent pas vivre toujours chez quelqu’un, ils ont besoin d’être chez eux. »

Séquelles de la guerre

Sur le chemin de l’exil qui l’a menée de l’Ukraine à la Slovaquie, à la Pologne et à la France avant son atterrissage à Montréal, Maryna a dû prendre des dizaines de décisions difficiles.

Ce parcours l’a propulsée dans l’âge adulte. Et il l’a profondément transformée.

Mes priorités ont changé. Je vois aujourd’hui ce qui est vraiment important. La vie est trop courte pour faire des choses qui nous déplaisent.

Maryna Khrennikova, qui a fui l’Ukraine pour se réfugier au Québec

L’incertitude de la vie ne l’atteint plus. « Si je devais repartir, je sais que je peux toujours me débrouiller. »

Maryna porte les séquelles de la guerre. L’image d’un avion survolant Montréal la fait sursauter de peur.

L’idée d’un festival de feux d’artifice la terrorise. Elle craint que les sons et les éclats lumineux ne la replongent dans le cauchemar de la guerre.

Quand elle regarde vers l’avenir, Maryna pense que la guerre va s’étirer sur des années. Elle souhaite obtenir son baccalauréat à Montréal, pour ensuite rentrer reconstruire son pays.

En attendant, elle aide comme elle peut… Hyperactive sur Instagram, elle contribue à recueillir des fonds pour un réseau d’entraide actif à Kharkiv.

Elle pleure encore, régulièrement. Mais elle veut agir. « Car pleurer, dit-elle, ça ne sert à rien. »