Ils ont été parmi les premiers à voir les ombres noires se découper au fond du Bataclan. Mais ils ont été parmi les derniers à témoigner de cette soirée d’horreur.

Neuf mois après le début du procès des attentats du 13-Novembre, deux membres du groupe rock Eagles of Death Metal ont comparu mardi au palais de justice de Paris, pour une séquence très médiatisée et, surtout, très cathartique.

« Les évènements qui se sont produits le 13 novembre [2015] ont changé ma vie à jamais », a raconté, par l’intermédiaire d’une interprète, le chanteur moustachu Jesse Hughes, visage de la formation californienne, actuellement en tournée européenne.

ILLUSTRATION BENOIT PEYRUCQ, AGENCE FRANCE-PRESSE

Croquis d’audience du chanteur Jesse Hughes lors de son témoignage du 17 mai

Vêtu de noir et portant une cravate rouge, le musicien a cependant assuré avoir « pardonné » aux « pauvres âmes qui ont commis ces actes » et expliqué qu’il priait pour eux afin que « la lumière du Seigneur rejaillisse sur eux ».

« Le mal n’a pas vaincu », a-t-il ajouté, avant de conclure par les paroles d’une chanson d’Ozzy Osbourne : « You can’t kill rock’n’roll » (on ne peut pas tuer le rock’n’roll), comme un pied de nez aux 14 accusés dans le box.

À son côté, l’ex-guitariste du groupe Eden Galindo a admis qu’il ne « serait plus jamais le même après cette nuit-là » et avoué avoir été « brisé » par cette tragédie.

« Après tout ça, c’était très difficile de faire les choses normalement », a-t-il souligné en rappelant le lien indéfectible qui l’unit depuis à la France.

90 amis tués

Rappelons que les Eagles of Death Metal étaient sur scène lors de l’attaque, qui a fait 90 morts et des centaines de blessés dans la mythique salle de spectacle du 11e arrondissement à Paris. En raison de leur position en surplomb face à l’entrée, ils ont été les premiers à comprendre ce qui se passait, surtout Jesse Hughes, habitué des armes à feu.

D’une voix forte et claire, le chanteur a rappelé comment, « au milieu du concert », il a entendu des tirs qui ne laissaient pas de doute.

« Venant d’une région désertique en Californie, le son des coups de feu m’est très familier. Je savais ce qui allait arriver, je sentais la mort se rapprocher de moi. »

Les deux musiciens ont raconté avoir quitté la scène en panique, puis être remontés à l’étage pour trouver la compagne de Hughes, avant de quitter les lieux par la porte arrière et de prendre un taxi pour le commissariat.

C’est là qu’ils ont découvert des dizaines de blessés couverts de sang et appris la mort d’un des leurs, le Britannique Nick Alexander, qui s’occupait de vendre les produits dérivés du groupe.

Ce soir-là, « 90 de mes amis ont été tués de manière haineuse devant nous… Tous ceux qui étaient au concert ce soir-là étaient mes amis », a souligné Jesse Hughes, avant de raconter comment il a hésité longtemps ensuite à remonter sur scène.

« Je ne savais pas si j’aurais la force de revenir, parce que je pensais que j’étais comme le fromage qui allait attirer les souris. »

« Après les attaques, je me suis posé beaucoup de questions, j’étais un peu perdu, je me suis appuyé sur des amis, notamment en France pour continuer à aller de l’avant. Cette tragédie a pu être transformée en un flambeau de lumière », insiste-t-il.

Comme une communion

Son témoignage, particulièrement chargé, n’a laissé personne indifférent dans la salle d’audience, plus remplie qu’à l’accoutumée. Connu pour sa sensibilité exacerbée, le chanteur n’a jamais caché son trauma à la suite des évènements.

« Il a parlé avec beaucoup d’émotion. Il est très affecté. Il était très angoissé à l’idée de témoigner », confirme Thierry Maillet, survivant du Bataclan, devenu depuis un ami de Jesse Hughes.

Ce grand admirateur de rock raconte qu’une fois le récit terminé, le président a suspendu l’audience, voyant à quel point le chanteur était secoué.

« Il a pleuré dans les bras de son avocate. Je me suis approché. Il a pleuré dans mes bras. Je lui ai dit que j’étais fier de lui. Que c’était un nouveau jour. Que la boucle était bouclée », dit-il.

Bouclée pour le musicien, mais aussi pour les admirateurs du groupe et les survivants venus entendre ce témoignage. Pour MAurélie Cerceau, avocate de quatre parties civiles, cette visite américaine venait, en quelque sorte, solder une page de leur histoire.

PHOTO GEOFFROY VAN DER HASSELT, AGENCE FRANCE-PRESSE

L’avocate des membres du groupe Eagles of Death Metal, Claire Josserand-Schmidt

« C’était très particulier. Il y avait énormément de fans qui avaient besoin d’entendre ce que ces musiciens avaient ressenti, de voir s’ils avaient souffert comme eux. Je pense qu’ils avaient besoin d’une conclusion. Ce témoignage était comme une communion, comme un aboutissement », dit-elle.

Le procès historique du 13-Novembre amorce sa dernière ligne droite lundi prochain, avec les plaidoiries des parties civiles, qui dureront jusqu’au 7 juin. Elles seront suivies des réquisitions des procureurs de la République puis, enfin, des plaidoiries de la défense à la fin de juin.

Le tout doit se terminer le 29 juin avec le verdict de la cour. Des 14 accusés présents, 6 encourent la prison à vie.

Avec l’Agence France-Presse