(Paris) Il n’a aucune chance de gagner la présidentielle. Il est ce qu’on appelle un très petit candidat, pour ne pas dire un mouton noir. Les humoristes se foutent de sa gueule et surtout de son accent du Sud, parfois incompréhensible. Quant aux chroniqueurs sérieux, ils manquent de mots pour parler de son programme.

Jean Lassalle tire pourtant son épingle du jeu pendant cette campagne électorale française.

Incarnation d’une France rurale et folklorique, cet improbable candidat est maintenant une vedette sur les médias sociaux, où ses vidéos psychotroniques sont devenues virales. Ici, le monsieur joue de l’harmonica, presque en transe. Là, il bûche du bois, torse nu et béret sur la tête, sur un fond de musique rock. Qu’on aille le voir pour son côté « humain », ou pour en rire, les résultats sont étonnants : 100 000 « J’aime » pour un tweet, 125 000 pour une vidéo YouTube, 70 000 pour un clip sur TikTok…

Les performances de Jean Lassalle relèvent bien sûr de l’anecdote. Mais elles nous rappellent qu’en France, la campagne présidentielle se joue aussi sur les médias sociaux. De nouveaux réseaux comme Twitch, TikTok et Instagram sont venus s’ajouter à Twitter, Facebook et YouTube, déjà utilisés pendant la campagne de 2017, forçant les candidats à se prêter à toutes sortes de mises en scène pour séduire un électorat qui ne s’intéresse pas d’emblée à la politique.

Ils pensent que ça peut jouer un rôle auprès des jeunes, donc ils y sont forcément. Et aussi parce que si on n’y est pas, on disparaît.

Marie Neihouser, stagiaire postdoctorale à l’Université de Toulouse et chercheuse associée au Groupe de recherche en communication politique (GRCP)

La tendance est loin d’être récente. Mais elle se précipite en raison du contexte actuel, suggère par ailleurs Arnaud Mercier, professeur en information-communication à l’Université Paris-Panthéon-Assas. Alors que les médias traditionnels concentrent leurs efforts sur la COVID-19 et la guerre en Ukraine, les candidats ne peuvent faire autrement que de se rabattre sur les réseaux sociaux.

« Oui, on peut dire qu’ils sont plus investis sur l’internet que d’habitude. Mais attention avant de s’enthousiasmer pour la montée en puissance des réseaux sociaux. Je pense qu’ils le font aussi par défaut. Pour compenser. Parce qu’il y a une faible visibilité médiatique de la campagne », affirme l’expert.

Macron, la série…

Outre le pittoresque Jean Lassalle, Jean-Luc Mélenchon semble être l’un des candidats les plus à l’aise dans l’univers 2.0.

Le candidat de La France insoumise avait déjà suscité l’étonnement par son avant-gardisme il y a cinq ans, en donnant quelques rassemblements par le truchement d’hologrammes et en animant une émission politique sur YouTube. Aujourd’hui, l’homme de 70 ans diffuse ses rassemblements en direct sur Twitch et se met en valeur sur TikTok avec une aisance étonnante.

« Il a compris très vite les codes des réseaux sociaux, résume Marie Neihouser. Il a senti qu’il fallait aller sur les médias plus jeunes parce que ça correspond à son électorat. Mais ça fonctionne aussi parce que son parti est très hiérarchisé. Quand on demande aux militants de retweeter, ils le font… »

Pas trop loin derrière, le candidat d’extrême droite Éric Zemmour et le président sortant Emmanuel Macron font aussi bonne figure.

Le premier en mène large sur Facebook grâce à son armée numérique, tandis que le second est très actif sur la plupart des plateformes, y compris sur YouTube, où il pousse l’audace jusqu’à jouer dans sa propre « série », intitulée Le candidat. Sans oublier Marine Le Pen, qui génère un certain nombre de vues sur Instagram ou sur TikTok, en posant tout sourire avec ses chats ou ses admirateurs lors d’un bain de foule.

Forcer un âne à boire

Est-ce que tous ces beaux efforts se traduisent en intentions de vote ? Ça, c’est une autre question. Bien qu’incontournables, les réseaux sociaux demeurent relativement marginaux en France en comparaison de la télé, de la radio et des journaux. Si bien que leur impact est relatif.

« Le problème avec les réseaux sociaux, c’est que ce sont des chambres d’écho. Ça permet de galvaniser les militants qui sont sur la campagne, mais je ne suis pas certaine que ça touche à grande échelle, Et puis, ce n’est pas parce que les candidats y sont que les citoyens vont voir ce qu’ils publient », suggère Marie Neihouser.

Même son de cloche chez Arnaud Mercier, qui se garde d’établir un lien de cause à effet entre les « J’aime » et les votes.

« En se montrant sur les réseaux sociaux, les candidats espèrent gagner des voix, rassembler les jeunes, obtenir une mobilisation… Mais on ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif, souligne M. Mercier. Les jeunes ne sont pas dupes. Quand ils voient Macron interviewé par des youtubeurs, ils savent que c’est un attrape-gogo pour essayer de les intéresser. »

Chose certaine, « l’attrape-gogo » peut aller encore plus loin.

C’est ainsi que Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron ont tous deux transposé cette campagne électorale en jeu vidéo, dans le but assumé de rejoindre un public de 15-20 ans, peu intéressé par la politique.

Macron se retrouve ainsi impliqué dans le célèbre jeu Minecraft, tandis que Mélenchon est propulsé dans un jeu d’énigmes qui permet de découvrir les propositions du candidat.

Début 2022, un militant avait également mis en ligne un jeu vidéo consacré à Éric Zemmour, dans lequel le candidat d’extrême droite était représenté en train d’affronter ses ennemis à l’aide de drapeaux français. Comme quoi tout est désormais possible au royaume de la course à l’Élysée.

Il ne manque qu’un jeu vidéo Jean Lassalle, et le paysage sera complet. L’objectif serait probablement assez simple : couper un maximum de bûches avant d’être éliminé dès le premier tour…