Les images sont glaçantes. Des corps jonchant les rues, gisant au sol. Ce qu’il reste de la ville de Boutcha, théâtre d’un bain de sang, a été repris samedi par les Ukrainiens, à la suite du retrait des forces russes de la région de Kyiv. Et Odessa, ville portuaire clé du sud du pays, a été bombardée, dimanche matin.

Depuis un mois, les habitants de Boutcha, au nord-ouest de la capitale, vivaient sous l’envahisseur russe, privés de tout secours. Aujourd’hui libérés, ils commencent à témoigner de l’horreur qui s’y est déroulée.

Un journaliste de l’Agence France-Presse rapporte avoir compté une vingtaine de cadavres – apparemment des civils – dans une rue de la ville, dont l’un les mains nouées dans le dos. La plupart étaient allongés sur le trottoir, d’autres se trouvaient au milieu de la rue ou dans la cour d’une maison.

Les corps étaient éparpillés sur plusieurs centaines de mètres, sans qu’on puisse dans l’immédiat déterminer la cause de leur mort, mais une personne présentait une large blessure à la tête.

« Toutes ces personnes ont été abattues, tuées d’une balle dans la nuque », a affirmé à l’AFP le maire de Boutcha, Anatoly Fedorouk.

Au Guardian, une résidante raconte avoir perdu son mari d’un tir russe, alors que tous deux tentaient de fuir la ville.

J’ai senti quelque chose toucher mon épaule droite, une balle. J’ai poussé mon mari à sortir de la voiture. Mais il ne bougeait pas. Je me suis rendu compte qu’il était mort. J’ai ouvert ma portière et j’ai couru.

Halyna Tovkatch, résidante de Boutcha

Une vidéo, qui a largement circulé sur les réseaux sociaux, montre des véhicules sillonnant une ville transformée en cimetière à ciel ouvert, évitant les corps sur la route. La Presse n’a pas été en mesure de corroborer l’authenticité de la vidéo.

Retrait stratégique

Dans un retrait annoncé, les dernières troupes russes ont quitté samedi le nord du pays, ont confirmé les forces ukrainiennes, qui ont depuis repris une dizaine de villes, dévastées par les combats.

Une stratégie du Kremlin pour redéployer ses forces dans l’est et le sud du pays, après s’être buté à une forte résistance dans la capitale, estime Anessa Kimball, professeure agrégée de relations internationales à l’Université Laval.

« La guerre dure depuis plus d’un mois. La Russie doit se demander : “Est-ce qu’on veut investir davantage de ressources pour prendre Kyiv, alors qu’on peut prendre d’autres villes qui sont stratégiquement plus importantes ? » », avance-t-elle.

Avant de se replier, les forces russes ont semé la dévastation derrière eux. À Boutcha, près de 300 personnes ont été enterrées dans des fosses communes, a déclaré à l’AFP son maire, Anatoly Fedorouk. Les trois cimetières de la municipalité étaient à portée de tirs des soldats russes, a-t-il précisé.

Parmi les personnes qui ont péri, « des hommes et des femmes de tous âges », poursuit-il. « Dans la rue, il y a toujours des voitures avec des familles entières tuées : enfants, femmes, grands-mères, hommes », a-t-il affirmé.

Autant de pertes qui nous rappellent que la guerre – et cette guerre, en particulier – n’est pas civilisée, se désole Ekaterina Piskunova, professeure de science politique de l’Université de Montréal.

Je ne pense pas que ce seront les dernières photos [de morts civiles]. C’est absolument horrible, et c’est pourquoi il faut mettre toute la pression qu’on peut exercer sur les parties impliquées pour que ça prenne fin.

Ekaterina Piskunova, professeure de science politique de l’Université de Montréal

Les forces ukrainiennes ont pénétré il y a un ou deux jours dans Boutcha, où l’accès était jusque-là impossible. L’opération d’aide a débuté samedi avec une première livraison de produits de première nécessité. La sépulture des morts viendra plus tard.

Les habitants de Boutcha sont « encore très effrayés, encore choqués », a indiqué Iouri Birioukov, membre de l’équipe volontaire de défense territoriale de l’Ukraine, à l’AFP.

La région de Kiyv « libérée »

Les villes d’Irpin, de Boutcha, de Hostomel et toute la région de Kyiv ont été « libérées de l’envahisseur », a affirmé la vice-ministre ukrainienne de la Défense, Ganna Maliar.

Dans une allocution vidéo samedi soir, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a affirmé que le « retrait rapide » des forces russes du nord du pays signifiait qu’elles voulaient « s’emparer à la fois du Donbass et du sud de l’Ukraine ».

Selon le chef de l’administration militaire de la région de Donetsk, Pavel Kirilenko, l’armée russe a de nouveau bombardé dans la nuit la région de Donetsk, dans le Donbass, avec des bombes au phosphore dans certains endroits. Deux enfants sont morts à la suite de frappes dans la région voisine de Louhansk, selon les services d’urgence.

Les forces russes, « après l’échec des opérations pour prendre Kyiv et d’autres villes ukrainiennes importantes en mars », « cherchent à prendre l’entièreté des territoires de Louhansk et de Donetsk », estime l’Institute for the Study of War.

Tôt dimanche, une série d’explosions a été entendue à Odessa, ville côtière de la mer Noire vitale à l’économie du pays, qui se préparait depuis plusieurs semaines à une attaque. Un journaliste de l’AFP a constaté trois colonnes de fumée noire et de flammes visibles, apparemment au-dessus d’une zone industrielle.

Samedi, sept couloirs humanitaires étaient prévus dans l’est et le sud-est de l’Ukraine, selon la vice-première ministre Iryna Verechtchouk. La veille, plus de 3000 personnes avaient fui la région de Marioupol, épicentre des combats, en bus et en voitures privées, ont annoncé les autorités ukrainiennes. « Les couloirs humanitaires ont fonctionné dans trois régions : Donetsk, Louhansk et Zaporijjia. Nous avons réussi à sauver 6266 personnes, dont 3071 de Marioupol », a affirmé Volodymyr Zelensky dans la nuit de vendredi à samedi.

Une rencontre entre Poutine et Zelensky ?

Possible avancée dans les négociations : Moscou a accepté « oralement » les principales propositions ukrainiennes, à l’exception de celle qui concerne la Crimée, a déclaré le négociateur en chef ukrainien dans les pourparlers de paix avec la Russie, David Arakhamia. Kyiv attend désormais une confirmation écrite.

De passage sur le plateau d’une émission télévisée, M. Arakhamia a laissé entendre que les négociations entre les deux pays avaient considérablement avancé et que la Russie se serait dite prête à une rencontre entre le président russe Vladimir Poutine et son homologue Volodymyr Zelensky.

Il s’agirait du premier face-à-face entre les deux présidents depuis le début de l’invasion russe en Ukraine, malgré les invitations répétées de Kyiv.

L’experte Ekaterina Piskunova y voit une certaine « fatigue » du côté russe. « Six semaines de guerre, de sanctions, c’est difficile pour la Russie. Peut-être qu’elles stimulent cette négociation », remarque-t-elle.

Cette ouverture de Vladimir Poutine à rencontrer son homologue ukrainien est une « avancée », en théorie, croit pour sa part Anessa Kimball. Mais en pratique, Moscou maintient son objectif initial : que l’Ukraine capitule.

Avec l’Agence France-Presse et l’Associated Press