(Kyiv) Il a quitté les chapiteaux de cirque pour rejoindre les rangs des volontaires qui tiennent les nombreux barrages routiers jalonnant Kyiv. Et Serguiï Cherchoun, clown de métier, assure que l’invasion russe n’a rien de drôle.

Loin des jongleries et des mimes, le quinquagénaire s’habitue désormais à manier la mitraillette.

« Je refuse que l’ennemi vienne sur ma terre et tue mon peuple, mes amis, mes enfants, et les femmes. Ce n’est pas juste », témoigne-t-il auprès de l’AFP.

ChiCh, de son nom de scène, explique que sa femme aussi est clown et que ses fils eux aussi se sont lancés dans le métier, l’un comme jongleur, l’autre encore à l’école du cirque.

« Nous étions en tournée, nous menions une vie paisible, nous rendions les gens heureux, et soudain… tout s’est arrêté », raconte-t-il, casquette de baseball sur le côté, qui a troqué son ample pantalon de clown pour un pantalon de camouflage.  

À son point de contrôle fait de béton et de sacs de sable, Cherchoun se plaint, en plaisantant, que ses épaules lui font mal parce qu’il porte l’une des armes les plus lourdes du groupe.

Son équipe de volontaires arrête chaque voiture pour vérifier l’identité des passagers et fouiller le coffre.

Ce qu’ils cherchent : des espions ou des « saboteurs » russes, dont ils craignent qu’ils commettent des attentats ou ne marquent des cibles pour guider des frappes de Moscou.

« Pourquoi est-ce que je suis ici ? Parce que c’était mon devoir. Je ne peux l’expliquer avec des mots, c’est une haine satanique » envers les forces russes d’invasion, dit-il.

« Jamais vu autant de sang »

À Kyiv, les barrages routiers comme celui de Cherchoun sont tenus par des équipes hétéroclites de volontaires portant aussi bien treillis de l’armée et fusils que sweat-shirts, casquettes, bonnets et lunettes de soleil.

Certaines barricades sont équipées de gardes factices, comme des mannequins avec lance-roquettes ou même un chevalier en armure. D’autres sont faites de vieilles Lada.

Mais tenir les barricades est une affaire sérieuse. Les volontaires passent de longues journées et de longues nuits dans le froid, sans fermer l’œil. Et ils mettent leur vie en danger.

Il y a peu, des volontaires du poste de contrôle de Cherchoun ont tiré sur une voiture qui fonçait dans leur direction. Elle était marquée du symbole militaire russe « Z ».     

Le conducteur, grièvement blessé, a été soigné par Svitlana Kalanova, 21 ans, diplômée de biochimie et spécialiste des maladies auto-immunes.     

« Il n’a pas écouté nos gars au point de contrôle, il a essayé de les blesser, c’est pour ça qu’ils ont tiré », explique-t-elle, assise au soleil pendant une brève pause.

« Je n’ai jamais vu autant de sang, mais j’étais prête. Je pense que j’ai été prête toute ma vie ».

« La première chose, les embrasser »

Par centaines de milliers, les Ukrainiens se sont ainsi portés volontaires. Certains sont envoyés sur la ligne de front aux côtés des troupes régulières, d’autres tiennent les points de contrôle.

D’autres encore veillent à ce que ceux qui tentent de repousser l’invasion russe disposent de suffisamment de nourriture, d’équipements — et d’affection.

« Quand les soldats viennent ici, je dis toujours que la première chose à faire est de les embrasser », dit Svitlana Boretska, directrice d’école qui dirige aujourd’hui un centre d’approvisionnement tenu par des volontaires, plein de vêtements, de chaussures et autres équipements.

« C’est dur pour les hommes, donc nous essayons de les aider, moralement et de toutes les manières possibles. Nous les habillons, leur donnons à manger ».

« Nous sommes comme la ligne arrière de la défense. C’est pourquoi je dois être aussi fiable que les combattants de la ligne de front », affirme-t-elle.

Cette mobilisation massive de volontaires pourrait augurer un retour difficile à la normale en cas de victoire contre la Russie, mais ChiCh le clown n’est pas inquiet.

« Une fois la guerre terminée, j’ai de grands projets. Je dirige un studio de clowns et pantomimes pour enfants, et nous avons un spectacle pour bientôt ».