Les soldats ukrainiens qui tentent de stopper l’invasion ordonnée il y a un mois par le président russe Vladimir Poutine demeurent motivés « au plus haut point », mais ne pourront parvenir à leurs fins que si les pays occidentaux « se réveillent » et intensifient leur soutien, prévient le père Andrij Zelenskyy.

« Le coût en vies humaines qu’il faudra payer pour y arriver dépend de vous. On ne peut surmonter un mal d’une telle ampleur qu’en faisant front commun. C’est une leçon qu’on devait normalement avoir apprise il y a 80 ans » lors de la Seconde Guerre mondiale, souligne en entrevue téléphonique l’aumônier de 43 ans, joint mardi à Lviv, dans l’ouest de l’Ukraine.

Ce jésuite, qui a étudié la philosophie et la science politique en plus de la théologie, a passé trois années « dans les tranchées » au Donbass au côté de soldats qui tentaient, après la révolution de 2014, de repousser des militants séparatistes soutenus par Moscou.

Les combats meurtriers dans cette région de l’est du pays l’ont profondément marqué et lui ont permis de prendre la mesure des efforts de déstabilisation de la Russie, qui se sont en fait prolongés fin février en prenant, dit-il, une forme d’une tout autre ampleur.

PHOTO FOURNIE PAR ANDRIJ ZELENSKYY

Andrij Zelenskyy coordonne depuis Lviv une équipe d’une quarantaine d’aumôniers catholiques.

Lorsque des amis meurent, ils emportent une partie de votre être, et ce qui reste n’est que l’ombre de ce que vous étiez. Je commençais à guérir un peu, mais voilà qu’une nouvelle vague frappe.

Andrij Zelenskyy, aumônier

Début mars, Valeriy Tchybineyev, un militaire décoré et un ami – qu’il avait baptisé 15 ans plus tôt –, est notamment mort lors de combats en banlieue de Kyiv.

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Valeriy Tchybineyev, militaire ukrainien mort début mars, et Andrij Zelenskyy

« J’avais enterré son frère il y a quelques années, après qu’il a été tué dans le Donbass. C’est difficile de composer avec tout ça, mais la situation ne nous permet pas de nous arrêter pour réfléchir », note le père Zelenskyy, qui coordonne aujourd’hui depuis Lviv une équipe d’une quarantaine d’aumôniers catholiques répartis un peu partout. Ils travaillent de concert avec des aumôniers d’autres confessions dans le pays à majorité orthodoxe.

Tous les jours, dit-il, des militaires qu’il a côtoyés sur le terrain le contactent pour lui demander conseil et lui confier leurs états d’âme.

La plupart, souligne le père Zelenskyy, ont été surpris et « sont enragés » par le degré « de violence et de cruauté » des forces russes, qui multiplient les victimes civiles dans plusieurs villes par l’entremise de tirs soutenus d’artillerie, de missiles et de bombes.

Selon l’aumônier, les soldats ukrainiens tirent une grande force du fait qu’ils se battent pour sauver leur pays et leur culture. « Nous nous battons non seulement avec les bras, mais aussi avec le cœur. Ce n’est pas le cas des soldats russes, qui ne savent pas pourquoi ils sont là », note l’aumônier.

On nous disait que l’invasion de l’Ukraine se ferait en quelques jours, mais ça fait maintenant des semaines que les combats durent et ils n’ont encore atteint aucun des objectifs.

Andrij Zelenskyy, aumônier

Vladimir Poutine érige un nouveau totalitarisme identitaire dans lequel l’Ukraine est dépeinte comme une simple « fabrication occidentale » visant à empêcher le rétablissement de la Grande Russie, ce qui est « une absurdité complète », note le père Zelenskyy.

Les soldats russes, qui sont endoctrinés en ce sens, voient cette « réalité parallèle » s’effondrer lorsqu’ils sont confrontés à la résistance des soldats et de la population ukrainienne, relève l’aumônier, qui voit mal comment le conflit pourrait prendre fin à court terme si le rapport de force actuel demeure.

La crainte de l’enlisement

Les forces russes ont entouré plusieurs grandes villes, mais ne réussissent pas à en prendre le contrôle, même si les efforts en ce sens se poursuivent inlassablement. Le Pentagone a rapporté mardi que des troupes envoyées par Moscou combattaient désormais au sein même de Marioupol, ville assiégée du sud du pays qui constitue un point stratégique pour relier le territoire russe à la Crimée, saisie en 2014 par la Russie.

Le gouvernement ukrainien a par ailleurs indiqué que ses forces à Mykolaïv, une autre ville-clé du sud, avaient repris du terrain face aux militaires russes.

Vladimir Poutine, selon un récent rapport de l’Institute for the Study of War, à Washington, maintient ses demandes « maximalistes » face au gouvernement ukrainien du président Volodymyr Zelensky, qui écarte pour sa part toute concession relativement au territoire ou à la souveraineté ukrainienne.

Le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, a appelé mardi la Russie à renoncer à cette offensive « absurde » et à négocier une sortie à la crise.

Le père Zelenskyy pense que l’enlisement militaire, s’il se poursuit, va amener les troupes russes à recourir à des actions « encore plus cruelles » et exacerber le dilemme des pays occidentaux.

L’envoi d’armes et l’application de sanctions économiques sévères ne vont pas assez loin pour permettre à l’Ukraine de s’en sortir, souligne l’aumônier, qui insiste sur l’importance des ressources humaines et matérielles et des technologies militaires à la disposition de la Russie.

Le président américain Joe Biden, qui doit venir en Europe à la fin de la semaine pour un sommet d’urgence de l’OTAN, entend annoncer avec ses alliés une nouvelle série de sanctions, mais continue d’écarter les demandes ukrainiennes en faveur de l’établissement d’une zone d’exclusion aérienne par crainte de susciter un élargissement du conflit.

« Pendant la guerre du Donbass, plusieurs pays ont fait semblant de ne pas réaliser ce qui se passait en Ukraine. Nous sommes moins seuls aujourd’hui, mais le fait que la guerre est aussi une menace pour la sécurité, le bien-être et les intérêts occidentaux n’est pas encore pleinement compris. […] Plus vite cette réalité sera comprise, plus vite vous nous aiderez », plaide le père Zelenskyy.