La rumeur courait qu’il avait été tué à Marioupol, mais Wali a accompli sa première mission dans la grande région de Kyiv « sans la moindre égratignure »

Les relayeurs de propagande russe l’ont rapporté mort dans la région de Marioupol, abattu par les forces spéciales russes après seulement 20 minutes de combat. Mais après une semaine complète de silence radio, celui que des tabloïds britanniques décrivent exagérément comme le « tireur d’élite le plus meurtrier au monde » est toujours bien vivant.

« J’ai été le dernier à apprendre que j’étais mort », dit en rigolant l’ex-militaire québécois surnommé Wali, joint par vidéoconférence en Ukraine, lundi.

Depuis le 15 mars, son statut était l’objet des plus sinistres rumeurs sur la Toile. Ce sont des médias électroniques chinois qui semblent avoir lancé la nouvelle de son élimination par les Forces spéciales russes. La rumeur est ensuite devenue une « nouvelle confirmée » sur un faux site Instagram des forces spéciales russes, qui vend des accessoires militaires. Sur Twitter, un internaute a même publié des photos de ses « funérailles ».

Des nouvelles du front

Parti au front la semaine dernière au sein d’une unité de l’armée ukrainienne, le soldat québécois dit avoir subi les feux de chars d’assaut et d’artillerie russes pendant plusieurs jours. « J’ai vu une boule de feu me passer à trois mètres de la tête. C’était surréel », raconte le tireur d’élite, qui est revenu « sans la moindre égratignure » de sa première mission dans la grande région de Kyiv. Un de ses frères d’armes ukrainiens a toutefois été blessé par balle.

Wali dit qu’il n’a tiré aucun coup de feu pendant ces affrontements, mais qu’il a relevé plusieurs positions d’artillerie russe et que les assauts menés par son unité ont permis de « reprendre du terrain à l’ennemi ». « C’est un peu comme une guerre de machos qui se bombent le torse en se lançant des gros obus. La moitié du travail, c’est de se cacher pour se protéger. »

Les tanks restent en périphérie. Les Russes ont peur de se rapprocher. Il y a très peu de contacts directs entre les combattants, mais la pression est vraiment intense.

Wali

Pendant que les rumeurs sur son sort pullulaient, l’enflure médiatique a aussi fait de Wali une figure légendaire que lui-même qualifie de « ridicule ». Des médias sensationnalistes de Grande-Bretagne et d’Australie, qui ont rapporté son arrivée en Ukraine au sein d’un groupe de combattants volontaires, ont laissé entendre qu’il détenait le record du tir à longue portée de 3,45 km, ce qui est faux (ce fait d’armes appartient à un autre tireur d’élite canadien).

En porte-à-faux avec sa brigade

La visibilité médiatique qu’il génère l’a toutefois mis en porte-à-faux avec la Brigade normande, l’unité de combattants étrangers qu’il avait initialement intégrée en arrivant en Ukraine au début du mois de mars. Pendant qu’il était coupé du monde et des réseaux de téléphonie, celle-ci a publié un communiqué sur Facebook démentant la mort de Wali, mais annonçant aussi avoir « envoyé » Wali dans une autre unité de son choix, après une altercation avec le commandant, pour avoir enfreint ses règles de sécurité. « L’attention médiatique que Wali générait créait une situation très dangereuse pour nous, pour notre mission, ainsi que pour ses proches », explique au téléphone à La Presse un des responsables de la Brigade normande, un soldat canadien qui souhaite garder son identité confidentielle pour des raisons de sécurité.

La Brigade normande, qui relève directement du commandement ukrainien, mais qui a sa propre chaîne de commandement, est composée de soldats volontaires (dont une demi-douzaine de Canadiens) qui ne reçoivent aucun salaire, afin de ne pas être considérés comme des mercenaires au sens des conventions de Genève. Dans le droit international de la guerre, les mercenaires n’ont pas le droit au statut de prisonnier de guerre en cas de capture.

« La génération Call of Duty »

L’unité a vu ces derniers jours environ 25 de ses soldats quitter ses rangs pour rejoindre ceux de la Légion internationale pour la défense du territoire ukrainien, créée par le gouvernement ukrainien à la suite de l’appel aux combattants étrangers lancé par le président Volodymyr Zelensky. Parmi ceux qui sont partis se trouvaient beaucoup d’anciens « contracteurs militaires » qui ont été actifs en Irak et dans d’autres zones de conflit dans le monde, affirme le responsable de la brigade à qui La Presse a parlé. « Beaucoup ont répondu à la propagande ukrainienne, qui les implorait d’aller défendre Kyiv. C’est la génération Call of Duty, ils veulent de l’action rapide », dit-il, faisant référence à la populaire franchise de jeux vidéo de guerre. « Mais l’Ukraine est un très grand pays avec un énorme territoire à défendre au sud aussi. Ils ont tout autant besoin de soldats qui creusent des tranchées et des latrines. Ce n’est pas du travail glorieux, et les soldats qui rejoignent nos rangs, ils ne doivent pas avoir de problème avec ça. »

Questionné au sujet des récriminations de son ancienne unité, Wali offre une version différente des faits. « C’est moi qui suis parti. Ils étaient bien contents que je fasse de la promotion pour eux quand c’était le temps de recruter », lance le soldat québécois, un informaticien dans sa vie « civile » au Québec.

Je ne suis pas un soldat qui va être au garde-à-vous. Je suis ici comme volontaire. Je ne suis pas payé. Je comprends l’importance de la discipline, mais on ne me traitera pas comme un conscrit.

Wali

« Ici, il y a des gens qui me reconnaissent. Il y en a même qui m’arrêtent dans la rue pour me demander de signer leurs armes. Je ne veux pas qu’on exagère mes faits d’armes, mais je suis heureux que ça inspire les gens, confie l’ex-soldat du Royal 22e Régiment. Ça booste le moral des soldats et aussi des civils. Une guerre, c’est tellement émotif. Les gens veulent croire ce qui leur donne de l’espoir. »

Il dit vouloir utiliser sa notoriété pour convaincre d’autres combattants volontaires expérimentés de venir défendre l’Ukraine. « Je le fais pour une cause juste, et je m’adresse à des adultes responsables », estime-t-il.

Des détracteurs

L’annonce de son départ du Québec vers l’Ukraine, en mars, a cependant suscité beaucoup de réactions sur les réseaux sociaux. Des internautes ont notamment déniché des extraits d’une entrevue qu’il a accordée à Denis Lévesque, en septembre 2019, où il montre la douille d’une balle qu’il a tirée pour abattre un adolescent dans le cadre de son déploiement officiel en Afghanistan au sein des Forces armées canadiennes. Il y affirme que « c’est simple de tuer quelqu’un ». Certains de ses détracteurs l’ont traité de psychopathe, notamment parce qu’il sourit en évoquant ce fait d’armes troublant.

« Parfois, je souris de façon maladroite parce que ça me satisfait de dire les choses telles qu’elles sont. J’aime raconter la vérité, même si c’est cru. »

Je vais faire attention parce que c’est vrai que je peux avoir l’air d’un fou. Mais la vérité, c’est que la guerre, c’est dégueulasse. On n’est pas là pour planter des fleurs.

Wali

« Je m’excuse, mais il y a des choses terribles qu’on voit ici en Ukraine. La moindre des choses, c’est décrire les choses telles qu’elles sont. La réalité, elle est brutale, primitive », ajoute-t-il, se disant toutefois conscient que ce n’est pas tout le monde qui a envie d’être exposé à une vérité aussi dure.

Wali, qui se trouve avec un autre Québécois surnommé « Shadow », n’a pas l’intention de rentrer au bercail immédiatement. « On vient d’arriver, on ne va pas repartir tout de suite. Il y a une job à faire, c’est nécessaire », dit-il, tout en prévenant qu’il va devoir retourner dans l’ombre dans les prochains jours pour retourner au front.