Quand, au hasard d’une rare sortie en ville, Nadia tombe face à face avec un soldat russe, elle n’a qu’une envie : fuir à toutes jambes.

L’armée russe a pris contrôle de sa ville, Kherson, il y a exactement une semaine, après six jours de combats qui, selon les sources ukrainiennes, auront fait une quarantaine de morts.

Depuis, les soldats russes sont partout.

« Ils se promènent en blindés dans les rues centrales, ils veulent qu’on les voie, ils veulent bien montrer qu’ils contrôlent la ville », raconte Nadia, enseignante dans la jeune quarantaine.

Nadia ne s’appelle pas vraiment Nadia, elle préfère livrer son témoignage anonymement, pour des raisons de sécurité. Nous communiquons par écrit, sur la messagerie Twitter : l’internet est trop instable à Kherson pour une conversation téléphonique.

Avec ses 300 000 habitants, Kherson a été la première ville ukrainienne à tomber sous le contrôle de l’armée russe. Depuis, tous les accès à Kherson ont été fermés.

On ne peut pas quitter la ville, et on ne peut pas y entrer.

Nadia, résidante de Kherson

Résultat : la ville n’est pas approvisionnée, la viande, les œufs, les produits laitiers sont devenus introuvables, déplore Nadia. Situé à quelques dizaines de kilomètres de la mer Noire, Kherson se trouve aussi à 200 kilomètres de la ville portuaire d’Odessa, qui s’apprête à subir l’assaut des troupes russes.

C’est aussi la première ville d’importance à vivre sous le joug de l’occupant russe. À quoi ressemble cette occupation ? « Dès le premier jour, les Russes ont rencontré le maire [Igor Kolykhaïev] et ont annoncé les nouvelles règles. Il y a un couvre-feu de 20 h à 6 h, les gens ont le droit de sortir, mais seulement seuls ou à deux, les soldats peuvent fouiller nos téléphones cellulaires et nos autos. »

« Les soldats russes ne parlent à personne, ils sont masqués et quand la population locale s’adresse à eux, ils ne répondent pas. » Cette lourde présence militaire rend les habitants de Kherson nerveux. « Les soldats portent des armes automatiques et on ne sait pas à quoi s’attendre de leur part. »

Au ralenti

La ville tourne plus qu’au ralenti. Bien que les soldats ukrainiens aient quitté Kherson, on entend toujours, sporadiquement, des tirs d’artillerie. Nadia n’a aucune idée des cibles de ces tirs. Mais ça crée un climat d’incertitude et de peur.

Seules quelques épiceries, aux étalages clairsemés, accueillent des clients. Les boutiques, les salons de coiffure, les cafés et les restaurants sont tous fermés. Les écoles ont quant à elles été transformées en refuges pour des personnes qui ont dû fuir les villages voisins ayant subi d’intenses bombardements.

IMAGE TIRÉE DE LA CHAÎNE YOUTUBE DE FRANCE 24

Igor Kolykhaïev, maire de Kherson

C’est le maire, Igor Kolykhaïev, qui coordonne la distribution des denrées encore disponibles à Kherson. Mardi, la famille de Nadia a réussi à acheter 2 kg de pommes de terre, un chou et quelques pommes. « Il y a une limite de 2 kg de pommes de terre par personne », précise-t-elle.

Protestations

Chaque jour, depuis que l’armée russe a pris contrôle de Kherson, des habitants de cette ville se présentent sur la place centrale, face aux soldats, pour chanter l’hymne national ukrainien et leur dire de déguerpir.

Ils scandent que Kherson est ukrainien et ils disent à l’armée russe d’aller se faire voir, dit Nadia, qui a assisté à une seule de ces manifestations. Le premier jour, les soldats russes ont tiré en l’air, pour éloigner les manifestants. Depuis, ces derniers se tiennent un peu plus à distance. L’armée ne réagit pas.

Ce que Nadia trouve particulièrement difficile, c’est le sentiment d’être enfermée dans cette ville, alors qu’elle souhaiterait partir, rejoindre ses proches dans le centre du pays. Son fils de 9 ans n’en peut plus de la situation. Il ne peut pas pratiquer ses activités habituelles, voir ses amis. Elle-même se sent étouffée dans cette ville bouclée à double tour. « Je veux quitter Kherson », clame-t-elle. Pour l’instant, c’est impossible.

La situation est plus difficile dans les villages autour de Kherson, dont plusieurs n’ont plus d’électricité ni de gaz. « Dans certains villages, les gens ne peuvent même plus trouver de pain, ils pêchent des poissons pour se nourrir. »

Pas de capitulation

Kherson a beau être occupé, il n’a pas capitulé, souligne Nadia. Le maire Igor Kolykhaïev ne cesse de le répéter aux médias : « Kherson est ukrainien ! » Il l’a encore réaffirmé sur les ondes de France 24, cette semaine.

Pendant que l’offensive russe se poursuit sur d’autres fronts, ce que Nadia craint le plus, pour Kherson, c’est que l’occupant le transforme en une république fantoche, à la manière des enclaves soi-disant séparatistes de Donetsk et de Louhansk, dans le Donbass ukrainien.

Le paradoxe, souligne Nadia, c’est que Kherson est une ville très majoritairement russophone. Mais que ses habitants se sentent profondément ukrainiens.

Quand des inconnus se rencontrent dans la rue, on se dit : gloire à l’Ukraine.

Nadia, résidante de Kherson

De toute manière, cette guerre n’a rien à voir avec une question de langue, tient à souligner Nadia. « Je ne connais personne, ici, qui soit prorusse. » Et Nadia ne connaît personne, non plus, qui aurait envie d’adhérer à une éventuelle entité étatique contrôlée par Moscou.

« Poutine veut recréer une nouvelle Union soviétique, nous voulons faire partie de l’Europe », résume-t-elle. Ce sont des directions irréconciliables. Quel est l’état d’esprit des habitants de Kherson ? « On est inquiets, mais on a aussi de l’espoir », dit Nadia. « Nous espérons que notre armée viendra nous libérer… »

En attendant, Nadia souhaite que le monde comprenne ce qui, pour elle, ne fait pas de doute : si Vladimir Poutine réussit à prendre contrôle de toute l’Ukraine, ça ne lui suffira pas. « Il voudra punir l’Europe pour les sanctions, il ira plus loin. »

Selon elle, pour le freiner, la communauté internationale n’a pas le choix : elle doit défendre l’Ukraine.