Emmanuel Macron a finalement officialisé sa candidature jeudi, pour la présidentielle prévue dans moins de 40 jours

(Paris) Il aurait sûrement souhaité le faire dans un autre contexte. Mais à moins de 24 heures de la date limite pour se déclarer, il ne pouvait plus se permettre d’attendre.

Le chef de l’État français, Emmanuel Macron, a officiellement annoncé sa candidature à l’élection présidentielle jeudi soir, dans une « Lettre aux Français » publiée par de nombreux médias. Cette déclaration, attendue depuis longtemps, marque le coup d’envoi d’une campagne électorale qui sera forcément teintée par les évènements en Ukraine.

Après un quinquennat marqué par des crises sociales et la pandémie, le président, entré en fonction en mai 2017, a fixé de grands axes pour un prochain mandat, affirmant notamment qu’il faudrait « travailler plus » et « poursuivre la baisse des impôts ».

Il promet toutefois une méthode différente.

Nous n’avons pas tout réussi. Il est des choix qu’avec l’expérience acquise auprès de vous je ferais sans doute différemment.

Emmanuel Macron

Après avoir défendu son bilan, notamment face à l’épidémie de COVID-19, et conscient de n’avoir pas tout à fait conquis le cœur des Français, il a évoqué quelques projets de réforme déjà connus et indiqué vouloir « préserver et même améliorer le modèle social » du pays, tout en s’engageant à continuer à investir dans nombre de secteurs, dont la recherche, l’innovation, le nucléaire et les énergies renouvelables.

Son objectif est que la France devienne « une grande Nation écologique, qui la première sera sortie de la dépendance au gaz, au pétrole et au charbon », enjeu particulièrement sensible depuis le début du conflit ukrainien, alors que l’Hexagone, en partie tributaire du gaz russe, s’interroge sur sa souveraineté énergétique.

PHOTO LUDOVIC MARIN, AGENCE FRANCE-PRESSE

La « Lettre aux Français » d’Emmanuel Macron a été publiée par beaucoup de médias de l’Hexagone.

Favorisé par la guerre

C’est la première fois, sauf erreur, qu’une élection présidentielle se déroule pendant une guerre sur le sol européen. La gravité de la crise bousculera forcément les débats.

Depuis une semaine, tous les candidats ont déjà commencé à « ukrainiser » leur discours. Si les sujets intérieurs habituels (pouvoir d’achat, économie, sécurité et immigration) sont toujours à l’ordre du jour, les questions de défense, de politique étrangère et de souveraineté énergétique occupent une place plus grande que jamais dans les échanges.

De ce côté, il ne fait aucun doute qu’Emmanuel Macron a une, sinon deux longueurs d’avance sur ses adversaires.

Le président de la République s’est notamment distingué dans ses efforts diplomatiques pour convaincre Vladimir Poutine d’épargner l’Ukraine. Si ses efforts se sont avérés vains, il a fait preuve d’une énergie et d’un leadership qui semblent convaincre l’opinion.

Parce qu’il assure la présidence tournante de l’Union européenne (UE), c’est aussi lui qui orchestre depuis une semaine la réponse de l’UE à l’invasion russe de l’Ukraine.

Il joue en plus les médiateurs entre le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, et son homologue russe, Vladimir Poutine, avec qui il s’est une fois de plus entretenu par téléphone jeudi.

« Les Français aiment un président qui fait le travail par rapport au reste du monde. Ça fait partie du récit de ce que doit être l’exercice d’une bonne fonction présidentielle », résume Christian Lequesne, spécialiste de politique étrangère à Sciences Po Paris.

Sa position de chef d’État lui confère par ailleurs un avantage indéniable sur ses adversaires, estime le politologue Jean Petaux.

« Le fait d’être détenteur de la souveraineté nationale et étatique lui donne un statut particulier par rapport aux autres candidats, c’est absolument évident, car le contexte international sature actuellement le débat national. »

Des candidats dans l’embarras

PHOTO CHRISTOPHE ARCHAMBAULT, AGENCE FRANCE-PRESSE

Marine Le Pen répondait aux questions du public et de l’animatrice de l’émission spéciale Élysée 2022 jeudi, diffusée sur France 2.

On ne peut en dire autant d’une bonne partie de ses adversaires, dont la campagne se trouve plombée par les évènements.

C’est particulièrement le cas à l’extrême droite, où Marine Le Pen et Éric Zemmour doivent désormais répondre de leur complaisance passée à l’égard de Poutine et par ailleurs nuancer leurs discours sur l’immigration.

Marine Le Pen, qui avait emprunté à une banque russe pour financer sa dernière campagne, était allée chercher le soutien du Kremlin en 2017. Une photo de sa rencontre avec Poutine se retrouve même dans un récent tract électoral, qui met le Rassemblement national dans l’embarras.

Mme Le Pen a par ailleurs déclaré qu’elle serait prête à accueillir les réfugiés ukrainiens, six mois à peine après avoir martelé qu’elle fermerait la porte aux Afghans, après le retour au pouvoir des talibans. Une ouverture à deux vitesses, qu’elle a aujourd’hui bien du mal à justifier.

Éric Zemmour a pour sa part déclaré que les réfugiés ukrainiens devaient demeurer en Pologne, tout en se défendant d’avoir un temps défendu Vladimir Poutine. Idem pour le chef de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon (gauche radicale), qui a longtemps adopté des positions prorusses.

« Ceux qui à l’extrême droite et à l’extrême gauche avaient une certaine bienveillance pour M. Poutine, bien souvent par anti-américanisme, sont désormais décrédibilisés », tranche Christian Lequesne. D’autant plus, ajoute-t-il, que ces candidats n’ont jamais caché leur perplexité face au rôle de la France au sein de l’OTAN et de l’UE, deux entités qui semblent aujourd’hui plus nécessaires que jamais, à la lumière du conflit ukrainien.

Marcher sur des œufs

PHOTO ALEXEI NIKOLSKY, ASSOCIATED PRESS

Emmanuel Macron (au centre), président de la France, lors d’une rencontre le 9 décembre 2019 à Paris avec le président de l’Ukraine, Volodymyr Zelensky, et le président de la Russie, Vladimir Poutine.

En position de force, Emmanuel Macron voudra possiblement tirer profit des erreurs stratégiques de ses adversaires.

Mais il devra s’assurer de ne pas en remettre, estiment les experts. Car un retour du boomerang n’est pas exclu. Depuis son élection en 2017, le président de la République n’a pas ménagé les offensives de charme auprès du maître du Kremlin, dans un objectif avoué de « dialogue stratégique », ce qui pourrait également lui valoir quelques critiques.

« C’est la raison pour laquelle il marche un peu sur des œufs, souligne Christian Lequesne. Il a l’avantage, mais il faut qu’il fasse attention à sa com. »

Les prochaines semaines éclaireront le débat, maintenant que Macron est descendu dans l’arène pour ferrailler avec ses opposants.

Le paradoxe, souligne Jean Petaux, est que ses responsabilités de chef d’État, pendant cette crise internationale majeure, l’empêcheront de faire campagne au sens le plus traditionnel du terme.

M. Petaux se demande du reste si l’état de grâce durera jusqu’au premier tour de l’élection, prévu le 10 avril.

« Est-ce que ce primat de l’international sur le national va permettre à Macron de surfer sur cette vague, ou au contraire est-ce que ça ne va pas retomber ? », demande le politologue.

Il ne reste que 37 jours avant l’élection. C’est à la fois très court et très long. « Beaucoup de choses peuvent encore se passer… »

Avec l’Agence France-Presse